Christopher Priest dans Question De Style Episode 9 par Comics Grincheux
Christopher Priest, un auteur adepte de la non-linéarité.
Christopher Priest est un auteur qui a déjà une longue carrière dans l’industrie. Il débute chez Marvel en 1978 et commence à écrire sa première série régulière en 1983 avec le comics sur le personnage de Faucon. Cependant, il quitta rapidement Marvel pour rejoindre DC Comics où il écrira le personnage de Green Lantern. Pour autant, son travail est vraiment connu pour la relance de Black Panther chez Marvel sous l’égide de Joe Quesada dans la collection Marvel Knights. C’est véritablement là que les lecteurs vont découvrir son style de narration assez remarquable et originale dans l’industrie.
En effet, l’auteur découpe ses numéros en chapitres qui permettent de voir des points de vue de personnages différents ou de faire des bonds dans le temps. On pourrait donc qualifier la narration d’elliptique puisqu’il remplit son récit d’ellipses. Et, si certains ont pu faire un rapprochement entre son style et celui de Quentin Tarantino, je pense que c’est un raccourci un peu trop simple. L’un et l’autre aime jouer sur les dialogues mais ils ont des approches très différentes. Le réalisateur est porté sur des histoires très pulp alors que l’auteur oriente ses intrigues dans des terrains politiques souvent audacieux, portées par des personnages terre-à-terre.
Mais revenons sur la narration de Christopher Priest. Pour faire simple, on va prendre les deux récits les plus connus : Black Panther et Deathstroke. Cela permettra en plus de montrer l’évolution du style de l’auteur.
Le premier titre est finalement très timide dans les changements de rythme proposé. On se retrouve avec un seul narrateur, clairement identifié qui est Everett Ross, l’agent du S.H.I.E.L.D. qui se retrouve toujours dans des situations pas possibles et complètement dingues, comme ce vol de pantalon par Mephisto ! Mais au-delà de cette timidité, c’est surtout l’aspect foutraque de ce découpage qui frappe. De plus, sa seule utilité est de découper le récit au sein des issues pour marquer nettement les changements dans l’intrigue. Alors que dans Deathstroke, chacun des changements permet d’approfondir un élément de l’intrigue et de créer des ruptures de style au sein d’une seule et même issue. Ce qui peut donner un sentiment de confusion au premier abord donne en fait un relief assez incroyable au profil psychologique des personnages et une épaisseur folle à l’intrigue proposée. Si cela peut donc apparaître comme très facile et artificiel, une analyse poussée permet de comprendre la manière dont l’ensemble s’agence et la maîtrise folle dont fait preuve l’auteur dans sa narration. Par exemple, la première rupture de chronologie dans la série Deathstroke permet de faire comprendre qui est Slade, un type qui n’existe que dans la guerre et qui ne sait rien faire d’autre. La deuxième permet quant à elle de montrer le détachement dont il fait preuve à l’égard des autres individus, peu importe leur âge ou leur ethnie. Ainsi, il ne faut certainement pas croire que ces choix sont complètement aléatoires et ne sont là que pour ennuyer ou perdre le lecteur. Si c’est évidemment un sentiment qui peut être ressenti et est compréhensible lors d’une première lecture, il faut bien prendre le temps de reprendre la lecture et d’analyser cela pour comprendre les trésors de narrations que recèle la série Deathstroke, notamment dans les portraits des différents individus.
Ensuite, l’autre aspect important de la narration de Christopher Priest, c’est qu’il aime mettre en scène des personnages que tout oppose. Dans Black Panther, entre Everett Ross et T’Challa, c’est le jour et la nuit. Le premier est un stressé permanent, toujours à paniquer, le second est d’un flegme royal, calme, posé et sûr de lui. Pourtant, c’est leur opposition de principe qui va permettre de construire l’arc et c’est dans leurs divergences que se trouvera la réussite de leur association. Dans Deathstroke, c’est plus complexe. L’histoire est celle de la famille Wilson et leur côté dysfonctionnel fait que l’intrigue est bâtie sur des confrontations permanentes. Mais pas uniquement ! Le premier tome fait intervenir Batman, le second fera intervenir Superman et ce n’est pas l’affrontement physique qui intéresse l’auteur mais la confrontation entre leurs personnalités et leurs approches de la vie. Le mercenaire est un pragmatique jusqu’au-boutiste. Il trouvera toujours une justification dans la cruauté du monde qui lui permettra de faire les pires saloperies. Mais dans son premier arc sur Black Panther, c’est surtout la confrontation entre T’Challa et Achebe qui fait tout le sel de l’intrigue.
Finalement, ce qu’il est intéressant de noter chez l’auteur, c’est qu’il utilise des personnages aux antipodes les uns des autres pour développer un discours politique sophistiqué, intelligent et crédible. Au-delà de l’évidence même que le récit sur Black Panther est une métaphore sur la condition noire et sur l’émancipation de ce peuple, c’est surtout une métaphore politique sur la situation de l’Afrique au moment précis où se situe l’intrigue. Le personnage d’Achebe peut paraître peu crédible, il est complètement timbré, fait des blagues tout le temps mais il représente une forme de dictateur qui aime faire le pitre en public et être cruel en coulisses comme le contient africain en a tant connu. Priest montre le ridicule que pose un dictateur et si cela peut paraître abusif ou caricatural, c’est finalement ce qui sert le plus le récit puisque c’est là que se trouve tout le contenu politique de l’œuvre. Aspect politique que Ta-Nehesi Coates renforcera et je ne peux que vous conseiller de foncer sur son œuvre qui offre un point de vue politique tout aussi pertinent. Chez Deathstroke, c’est l’art de la guerre permanente dans le monde, les interrogations sur l’interventionnisme, étatique ou super-héroïque. La politique est partout chez l’auteur mais toujours en creux dans les intrigues, ce qui permet, si le lecteur ne s’y intéresse pas de se concentrer sur l’intrigue principale.
Au fond, Christopher Priest ne fait jamais que parler du monde dans ses œuvres, du pragmatisme en jeu dans les relations internationales, les personnages en étant des incarnations. Chez lui, les frontières entre le bien et le mal sont plus que floues et même lors des interventions des héros les plus classiques, il se permet de détourner ces figures pour les recouvrir d’une nouvelle posture morale, sans pour autant les dénaturer mais montrer leur étrangeté dans le monde actuel. C’est surtout intéressant avec l’apparition de Superman dans le prochain tome de Deathstroke. Le boy-scout et sa posture morale très droite y sont présentés dans ce que cela peut apporter de mauvais dans le monde, surtout dans la manipulation facile qui peut en être faite. De même, Batman y est présenté comme un héros incapable d’accomplir sa mission parce que pétri de règles morales qui le rendent faible. La confrontation avec ces héros permet d’interroger profondément notre rapport à eux, leur place dans un monde pragmatique. Ce sera pareil avec la confrontation entre les Avengers et Black Panther où c’est l’hypocrisie américaine face à la communauté noire, au colonialisme et à l’impérialisme qui resurgit. L’intelligence du propos est remarquable parce que Priest sait rendre intelligible les propos, il sait comment marquer au fer rouge la réflexion chez le lecteur, à travers des phrases chocs.
Christopher Priest est ainsi un auteur exigeant avec ses lecteurs qui peuvent se sentir dépassés par une narration complexe, déroutante qui peut paraître faussement compliqué alors qu’elle est pleine de richesses. Son run sur Black Panther est superbe, son run sur Deathstroke est certainement son meilleur travail ainsi que la meilleure ongoing DC Comics. Un auteur discret et peu reconnu mais au talent incroyable. Tout simplement !
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