Moby Dick : Une obsession jusqu’à la mer

Moby Dick, cela sonne comme l’appel de la mer. Un nom légendaire pour un navire qui appareille pour donner la chasse aux baleines. Car ces baleines sont pourvoyeuses d’huile que les baleiniers recueillent en barils en fond de cale. Et sur le Pequod, le Capitaine Achab à la jambe de bois embarque un équipage pour une chasse où la folie consume l’Homme dans cette traque en eaux salées et dangereuses.

Chasse à la Bal’haine

C’est la haine qui prend la mer, dans ce navire sombre et puissant qu’est le Pequod. Celui du Capitaine Achab, ce marin à la jambe de bois qui sur la mer passa quarante ans à traquer les cachalots pour remplir ses tonneaux d’huile. Nous suivons un jeune homme en perdition, cherchant un moyen de trouver une échappatoire à sa vie arrivant dans un port, cherchant une chambre pour la nuit, et un sens à la vie. Ainsi que l’incipit le rappelle, extrait du roman :

« Prenez le plus distrait des hommes, absorbé dans la plus profonde des rêveries, dressez-le sur ses jambes, incitez-le à poser un pied devant l’autre et il vous conduira infailliblement vers l’eau ».

Ces extraits choisis en début de chapitres confèrent en quelques mots une force et une intention au récit. Celles-ci trouvent dans les dessins noirs et blancs de Chabouté une encre dans laquelle s’inscrire et se répandre le long d’un périple. Celui de ce jeune homme qui pourrait être n’importe quelle personne cherchant à trouver motif à sa vie. Ses pas le menant vers l’eau, sur un port où les dessins font plonger d’un trait. Il croise la route d’un ami pour embarquer, d’un capitaine pour l’embaucher, et s’amorce un voyage qui marquera sa vie. Croiser la route du Capitaine Achab et de sa haine en proue de son navire conduit le récit vers une obsession salée sur des flots sombres. Et nous suivons inexorablement cette quête où la haine gonfle les voiles d’une obsession aussi infinie et noire que l’horizon en mer d’encre.

Une passion dévorante

L’obsession enchaîne l’Homme à un mât aussi sûrement qu’Ulysse au sien pour échapper au chant des sirènes. Ici la passion sombre du Capitaine Achab suit les sirènes d’une vengeance. Traquer Moby Dick aux confins des océans pour se venger de la blessure infligée à sa jambe et le rendant boiteux. C’est une obsession guidée par le pouvoir, celui exercé sur la nature par l’Homme, capable de la dompter à coups de harpons de métal, de sueur et de sang.

L’Homme ici se fait Diable et court après la montagne blanche que forme à la surface Moby Dick. Baleine légendaire qu’aucun marin n’a pu attraper. Elle représente la quête ultime, le graal de mer. Où le sel de la vie se transforme en encre de mort. Car la passion dévore, la jambe d’Achab tout d’abord. Puis son esprit tout entier qui sombre dans les vagues de la folie. Moby Dick est ce qui donne un sens à la vie aride d’Achab. À cette vie passée sur les flots qui pourrait raisonnablement le guider vers les rives et le repos. Comme le lui rappelle son équipage qui se veut sage. Achab est l’Homme de déraison, un être qui se pétrit de haine et de passion féroce. Cela pour ne pas sombrer dans le vide aride qu’est devenue sa vie.

Un reflet dans l’eau

En cela il est le miroir brisé de tout être humain, cette part sombre où l’obsession guide les pas. Où l’obsession martèle le sol et l’esprit d’une jambe de bois. Pour répondre aux sirènes mortifères qui pourraient résonner dans le monde contemporain comme chacune des addictions. Moby Dick en serait le nom. Celui d’une chasse éperdue pour une vie perdue, prenant son sens dans une mort assurée. Où ce qui compte n’est pas la fin, mais le voyage. Haine en cale, vide mélancolique en voiles, où la quête se fait maniaque sans jamais dériver.

« Moby Dick » de Chabouté est une plongée dans le monde des marins et au-delà du monde humain et de sa palette de sentiments. La quête d’un jeune marin et celle d’un vieux capitaine. La force simple d’un indien et les remords de l’équipage, embarqués comme une seule âme dans ce navire à la traque masquée. C’est une plongée en noir et blanc dans l’aridité de l’existence. Lorsque les Hommes affrontent les éléments, l’océan de solitude et la montagne de leur avidité. « Mobilis in Moby Dick », ces marins comme tout un chacun sont embarqués dans une expédition qui leur échappe. La haine en Capitaine, figure de proue d’une avidité très humaine où les sentiments dessinés en contrastes tranchés harponnent le lecteur. Ainsi le lecteur voyage volontiers en clandestin pour appréhender une part immergée des passions qui agitent, parfois jusqu’à la mort, l’être humain.

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Nous remercions Glénat BD pour l’envoi du titre, nous permettant cette critique.