Posté 14 décembre 2018 par dans la catégorie Dossiers
 
 

Andrea Sorrentino dans Question de Style S02E03

Quoi ? Comment ??!! Un Question de Style sur un dessinateur !

Mais c’est quoi ce bordel ?!

Vous pourriez en effet vous poser la question. Alors même que je ne pensais jamais en faire un, la relecture toute récente du Green Arrow de Andrea Sorrentino m’a donné envie d’écrire sur lui.

C’est que le dessinateur a un style visuel véritablement singulier dans le monde du comics moderne qui se pare de plus en plus de dessinateurs aux traits très marqués par plusieurs genres et des approches graphiques originales. Quand on lit certaines de ses interviews, il déclare souvent avoir lu beaucoup de mangas et c’est clairement quelque chose que l’on ressent facilement quand on lit un de ses récits. Mais une approche qu’il ne cite jamais, c’est celle de Frank Miller avec lequel je sens pourtant un certain lien, notamment à travers son jeu sur les ombres qui fait souvent références au style de Sin City.

Assurément, la ressemblance de son trait avec Jae Lee est assumée (il en parle beaucoup). Son travail sur les ombres et la manière dont elles sont encrées à base de gros aplats est assez proche. Pourtant, au milieu de ça, il arrive à construire sa propre personnalité.

Son travail a commencé pour un comics God of War où son trait et la ressemblance avec Jae Lee était parfaitement visible. Le dessin y était très sale, l’encrage aussi et le tout n’était pas toujours très lisible. Il a continué sur I, Vampire que je n’ai pas lu. Les deux travaux ont été publiés chez DC Comics. Mais c’est son travail sur Green Arrow de Jeff Lemire (tiens, y a pas eu un QdS dessus, y a peu de temps ?) qui m’a fait découvrir son travail et qui m’a totalement séduit. L’artiste italien sait y montrer un talent pour le découpage proche du cinéma d’action et plus spécifiquement les films hong-kongais qui faisaient la part belle à la mise en valeur des coups et des impacts.

Non, ce n’est pas aujourd’hui que je chanterai les louanges de Michael Bay !

Mais du coup, j’en viens à me demander comment un artiste parvient à construire de telles planches pour atteindre un résultat qui immerge autant dans l’action et dans le quotidien des super-héros ?

 

Un découpage composant des chorégraphies en combat

Le premier élément important du style Sorrentino est, selon moi, l’emphase qu’il porte sur l’impact des coups dans ses dessins. On y ressent une forme d’inspiration en provenance du manga où l’accent est souvent mis sur la puissance et l’impact, justement. Ses compositions de pages mettent clairement en avant un amour du découpage proche du story-board et d’une acuité visuelle assez dingue. Par des ajouts de petits détails comme des petites cases en surimpression dans une case, le dessinateur parvient à accentuer la violence et la force du coup reçu, immergeant ainsi encore plus le lectorat. C’est une forme d’emphase artistique que l’on retrouve plus facilement dans le manga mais qu’il transpose aisément dans un format comics. Mais il y a aussi une proximité avec le cinéma dans le style de l’artiste assez dingue.

Ce qui me permet d’ailleurs de faire un rapide détour. John Wick (vous ne les avez pas vu ? Foncez !) est très influencé par le comics, cela se ressent autant dans la précision des cadrages que dans le séquençage des scènes d’action, où le montage est réglé au poil pour donner un sentiment d’immersion plus intense.

 

 

Andrea Sorrentino semble très influencé par les constructions cinématographiques. Ça se ressent à travers l’importance qu’il donne au découpage du mouvement. Certaines planches déconstruisent très précisément les mouvements lors d’un combat à l’arc, entre le décochage de la flèche, le mouvement de cette dernière et l’impact qu’elle a là où elle atterrit. Il en va de même pour l’ensemble des mouvements où les combats ressemblent à des chorégraphies, très millimétrées et pensées. Je ne sais pas quelle est la part de liberté offerte à l’artiste par Jeff Lemire mais on sent une volonté dans ce run de découper les combats pour leur donner un aspect spectaculaire rarement vu dans les comics. Il est d’ailleurs assez intéressant de constater les différences entre David Aja et Andrea Sorrentino. Tandis que ce dernier est sur un travail de chorégraphie très millimétrée, l’autre est sur un trait très fin, épuré, cherchant à mettre l’accent sur les personnages et les émotions humaines.

Cet accent mis sur les chorégraphies se déploie aussi dans la précision du style d’Andrea Sorrentino. Avez-vous déjà remarqué les petites cases qu’il découpe à l’intérieur d’une case pour montrer les points d’impact ?

Eh bien, c’est ce qui me séduit le plus avec son talent pour la chorégraphie. Cela confère un aspect graphique extrêmement sophistiqué à son trait, ce qui permet de nous immerger encore plus intensément dans les combats qu’il met en scène. Ainsi, on comprend clairement ce qui vient de se briser chez le personnage et ça me (nous ?) permet d’entrer en empathie physique avec lui. Ainsi, l’implication du lectorat dans la lecture n’en est que plus forte et plus intense. De la même façon, son jeu sur les onomatopées, reproduisant vivement les bruits des coups permet de se croire dans un film d’action où l’on entendrait le bruit des os craquer. Ce double aspect donne au style de Andrea Sorrentino toute son énergie.

 

Un style en évolution

Mais l’évolution de son style va se faire très rapidement dans Green Arrow. Passé les premiers chapitres, l’artiste va mettre à profit son sens du storyboarding pour pouvoir aller plus loin. Dès l’affrontement avec le Comte Vertigo, il va pouvoir déconstruire ses cases afin de montrer la manière dont le personnage agit sur la psyché des personnages grâce à ses pouvoirs.

Et cette déconstruction des cases va devenir une marque de fabrique de l’auteur, en complément des cases d’impact. Avec Old Man Logan, il va encore affirmer cet aspect mais il va finalement ne faire que reprendre les codes déjà acquis dans Green Arrow. La nouveauté, c’est qu’il mixe cela avec des allers-retours temporels et des ambiances parfois très différentes. On passera de lieux très urbains au Japon mais aussi à l’espace. Le dessinateur confirme ainsi sa capacité à jongler tout en restant avec les mêmes codes. Il arrive ainsi à parfaitement mettre en scène l’introspection du vieux Logan lors de son passage au Japon, dans le troisième arc de la série et parvient encore plus nettement que le scénario à rendre compte de son désarroi psychologique.

Mais là où l’artiste frappe fort, c’est sur sa dernière collaboration avec Jeff Lemire sur leur création commune : Gideon Falls qui confirme l’évolution d’un artiste qui semblait jusque-là ne s’être qu’échauffé en vue de la série sur laquelle il pourrait déployer son inventivité.

 

 

L’artiste avait déjà mené des expérimentations visuelles, en prenant appui sur les différents genres qu’il avait pu aborder dans ses précédents travaux. La déconstruction graphique qu’affectionne le dessinateur prend alors un tout autre sens puisqu’elle sert à installer le malaise. Ce à quoi il faut ajouter l’ambiance poisseuse qu’il est capable de mettre en scène grâce à un travail sur les textures des décors assez savoureux.

De Green Arrow jusqu’à Gideon Falls, l’ensemble de sa narration visuelle est construit autour de bâtiments délabrés, pleins de fissures dans les murs qui participent à l’élaboration d’un monde en déliquescence où les héros se battent de manière futile.

Gideon Falls va lui permettre d’exprimer son amour des ambiances malsaines dans un monde réellement perdu pour le coup. Ici, sa déconstruction a l’avantage de montrer l’état psychologique dans lequel les personnages principaux se trouvent. Et on retrouve ici, les encarts visuels qui permettent alors de mettre en avant les éléments cruciaux de la page, donnant une lecture très simple permettant de se focaliser sur certains éléments et aussi d’en masquer d’autres.

Au fur et à mesure de la lecture du tome 1, l’artiste va en profiter pour montrer l’état de fragilité psychologique dans laquelle se trouve les personnages. A travers des déconstructions de cases qui vont aller crescendo, c’est l’état mental des deux héros que le dessinateur va montrer et il va, encore une fois, nous immerger dans cette perte de repères et de sens qui est vécue. Et par là, il opère carrément une déconstruction du médium, de la mise en case telle qu’elle est habituellement opérée, notamment dans les derniers chapitres, convoquant le travail cinématographique de David Lynch au sein du médium qu’est le comics pour un résultat déroutant et prodigieux.

 

Un révolutionnaire ?

Parce qu’au final, ce qu’il faut retenir de Andrea Sorrentino, c’est qu’à force d’expérimenter sur les formes des cases et leur emboîtage, il en vient à proposer de nouvelles perspectives dans le monde du comics. De nombreuses planches de Green Arrow vers la fin du run le prouvent. En les comparant aux premières, le bond est prodigieux, l’artiste a pris confiance en lui et il ose totalement chambouler les codes.

 

 

Une planche de Secret Empire va aussi dans ce sens où par une succession de petites cases, il représente le nouveau visage de Steve Rogers, désormais totalement dévoilé comme le chef de l’Hydra.

Au fond, Andrea Sorrentino est parti d’une approche assez simple mais que l’on voit peu dans le comics : se concentrer sur les impacts et l’immersion comme le manga le fait assez régulièrement. D’autres dessinateurs se sont inspirés de la bande dessinée asiatique mais c’était surtout pour les designs des personnages (Joe Madureira, par exemple) ou en reprenant une charte graphique (Bryan Lee O’Malley dans Scott Pilgrim). Ici, Andrea Sorrentino reprend l’ADN du manga pour l’appliquer à un médium différent. Comme d’autres artistes qui se sont inspirés du franco-belge pour alléger et adoucir leur style graphique, il s’est inspiré d’un autre genre pour renouveler la charte graphique du comics.

En faisant cela, l’artiste ne fait que prouver encore plus les limites qui existent à opérer des distinctions entre les genres géographiques et les formats. La bande dessinée s’internationalise et casse de plus en plus les barrières entre mangas, franco-belge et comics pour ce qui concerne l’aspect visuel, et permet d’ouvrir de nouvelles perspectives à la fois aux artistes mais aussi à un lectorat en demande de nouveautés constantes et qui par sa curiosité peut découvrir de nouvelles façons de dessiner.

Andrea Sorrentino n’est pas un révolutionnaire. Mais comme tant d’autres avant lui, il utilise son propre magasin de références pour construire de nouvelles histoires et de nouvelles façons de raconter des histoires. Son travail sur l’immersion du lecteur/lectrice dans les intrigues est assez inouï car il bénéficie d’une grande précision ainsi que d’un renouvellement dans les idées de découpage qui permet de ne jamais s’ennuyer. Assurément, il est l’un des artistes les plus fascinants a avoir surgi sur la scène comics ces dernières années et nul doute que ces prochains travaux le confirmeront.

 

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Comics Grinch râle beaucoup. Son origine vient de ses nombreuses grincheries envers BvS. Ayant gonflé sa petite amie avec ça, elle lui suggéra d'en parler avec d'autres. Ce fût chose faite. Vénère Grant Morrison, conchie Mark Millar.