Kelly Sue DeConnick dans Question de Style S03E04 !
Nouveau Question de Style, cette fois, on va encore parler d’une autrice que j’aime énormément : Kelly Sue DeConnick !
Mariée à Matt Fraction, ils forment l’un des couples artistiques les plus créatifs à mon avis. Ensemble, ils parviennent souvent à transcender le médium, via des idées simples et d’une efficacité redoutable.
Pourtant, sa carrière dans le monde du comics a commencé relativement tôt. C’est par l’entremise de Warren Ellis qu’elle va débarquer dans ce monde. En parlant de lui, vous n’êtes pas sans savoir qu’il est au centre d’accusations par de jeunes femmes (parfois mineures). Il aurait en effet profité de son statut pour obtenir des obtenir des faveurs sexuelles. Le tout sous couvert de chaperonnage créatif. Kelly Sue DeConnick en a récemment parlé puisqu’elle a profité des conseils de Warren Ellis sans recevoir d’avances.
Mais revenons à nos moutons. Au départ, elle n’écrit pas de séries, mais tient un catalogue pour le site Artbomb.net. Par la suite, elle va traduire des mangas pour le marché américain. Afin d’être certaine de ne pas commettre d’impair, elle demande fréquemment l’assistance d’un professionnel de la langue japonaise. Preuve d’un sérieux redoutable que l’on retrouve dans son travail sur Bitch Planet, par exemple.
C’est en 2011 qu’elle commence réellement à travailler sur du comics et en faire sa carrière. Elle va écrire la mini-série Osborn, avec une de ses futures collaboratrices : Emma Rios, aux dessins. Mini-série en 5 numéros, elle s’intéresse au personnage après son échec suite à Siege.
Mais si on connaît Kelly Sue DeConnick, c’est pour sa réinvention majeure d’un personnage secondaire : Carol Danvers. Anciennement Ms. Marvel, elle devient, sous la plume de la scénariste, Captain Marvel. Une évolution et une série qui ne plairont pas à tout le monde. En témoignent les messages qu’elle atteste avoir reçus. Elle se fait remarquer pour son style féministe et franc du collier. Paradoxal pour un début de série loin d’être un pamphlet féministe comme elle le dit elle-même dans une interview pour Vanity Fair.
Néanmoins, il faut noter que cette série montre déjà ce qui va caractériser à partir de là son style. En effet, elle n’hésite jamais à réinventer soit les personnages, soit les genres qu’elle reprend. Telle une Tarantino, elle se réapproprie des genres. Mais, contrairement au cinéaste, elle ne fait pas que du name-dropping de références, elle s’approprie complètement les univers et les modèlent à son image. Son dernier travail : Aquaman en étant la preuve ultime.
Bref, Kelly Sue DeConnick est, d’après moi, une autrice majeure et l’une des figures les plus importantes du comics actuel. Assez rare, son œuvre est assez réduite mais contient bon nombre d’œuvres importantes, soit dans les messages diffusés soit dans le twist qu’elle opère à chaque fois.
Alors, demandons-nous comment elle opère, à la fois chez les Big-Two et en creator-owned, pour adapter son style ?
Le bouleversement des univers chez les Big Two.
Ici, je vais prendre appui sur deux runs qui manifestent explicitement un aspect fort : le renversement. Kelly Sue DeConnick aime beaucoup modifier drastiquement les environnements dans lesquels les personnages arrivent.
Avec les deux séries que sont Captain Marvel et Aquaman, elle a de la chance. En effet, elle arrive lorsque les univers sont en bouleversement. Pour Carol Danvers, l’éditeur veut changer son image et Kelly Sue DeConnick arrive avec des idées neuves. Avec Aquaman, Scott Snyder, dans Drowned Earth (contenu dans le tome 2 de New Justice chez Urban Comics) a chamboulé le personnage. Cela lui permet donc de redéfinir les personnages et leurs univers respectifs.
Évidemment, dans Captain Marvel, le féminisme de l’œuvre est clair. Une vraie nouveauté et un bol d’air frais pour un personnage qui a été victime de nombreuses lubies des scénaristes mâles. Dès les premières planches, Carol colle des patates à un méchant qui se fiche ouvertement d’elle parce qu’elle est une femme. Soutenue par Marvel, Kelly Sue DeConnick ne cache pas son envie de changement. Mais aussi, elle va construire une Carol Danvers bien plus faillible, en proie aux doutes. C’est d’ailleurs la description qui continue d’irriguer le personnage sous la plume de Kelly Thompson. Normal quand on sait que cette dernière a fait ses armes au côté de DeConnick.
Chez Aquaman, elle revisite le personnage en prenant au pied de la lettre son nom de super-héros. Ainsi, il redevient un homme de la mer, entouré de nouveaux personnages, en lien avec la mer. Elle construit une mythologie nouvelle, éloignant Arthur Curry de l’Atlantide dans un premier temps pour mieux l’analyser. Mieux, elle va réinterroger sa place dans l’univers DC Comics en explosant littéralement nos propres certitudes. Elle n’en oublie pour autant pas d’où vient le personnage qui va devoir gérer un rôle plus premier degré. N’étant plus Roi de l’Atlantide (Méra a désormais la couronne depuis le run de Dan Abnett), il a à s’occuper de sa ville : Amnesty Bay et des individus qu’il a amené avec lui.
Si on reconnaît Captain Marvel par son féminisme, ce qui frappe surtout, c’est la sensibilité qui affleure. Entre cette série et Aquaman, le manque transparaît chez les personnages. Au début des deux séries, on retrouve deux individus en proie aux doutes, dans une nouvelle configuration de vie. Ils doivent apprendre à assumer leurs nouveaux rôles, en combattant leurs doutes et en tentant de combler un certain vide.
Chez Carol Danvers, ce vide se manifeste par la réappropriation du nom Captain Marvel mais aussi par la maladie de sa mentor. Les deux événements se répondent et on en vient à se demander si Carol n’est pas proche de la dépression.
Pour Aquaman, ce vide se manifeste littéralement par son amnésie. En effet, à la suite du tome 2 de New Justice, il ne lui reste que des réminiscences de son ancienne vie et notamment de Mera. La compréhension de son nouveau rôle va aller de pair avec la redécouverte de sa mémoire.
En général, le vide est comblé dès la fin du premier arc. À partir de là, les personnages vont pouvoir aller de l’avant pour se construire et surtout s’affirmer. Difficile de trop en dire pour Aquaman. La série est encore en cours aux États-Unis et en France, à date, nous n’avons eu que le premier tome, le tome 2 ayant été retardé suite au Covid-19.
Mais ce qui est à noter, c’est la précision avec laquelle Kelly Sue DeConnick va aller sonder les âmes de ses personnages. Elle cherche fondamentalement à comprendre ce qui les motive, peu importe que ses intentions soient louables ou non. Lorsqu’elle écrit Osborn, elle met en scène une jeune journaliste obsédée par révéler sa véritable nature. Mais dans le même temps, elle sonde qui est véritablement Norman lorsqu’il n’est pas le Bouffon Vert. La série propose un portrait complexe d’un vilain trop facilement réduit à sa folie.
Bref, en transformant leurs environnements et en chamboulant leur vie, Kelly Sue DeConnick parvient à dépeindre différemment ses personnages. Elle creuse leurs personnalités pour sonder leur âme et montrer quels types de héros et héroïnes, iels sont vraiment.
Réappropriation féministe des genres en indépendant.
Pour analyser ses travaux indépendants, je prendrai aussi appui sur deux œuvres de l’autrice : Pretty Deadly et Bitch Planet.
Pretty Deadly se présente comme un western, même si la réalité est plus complexe. Bitch Planet est un hommage au « film de prison avec des femmes », une sous-catégorie du grindhouse et du cinéma de genre. Dans ce type de films, toutes les séquences sont bonnes pour mettre les personnages féminins nues. Ce sont deux genres où les figures masculines y sont fortes, puissantes et souvent peu remise en cause. Dans ces genres, les femmes sont souvent reléguées au rang de personnages secondaires, servent souvent de prostituées, de femmes fatales et sont objectifiées. Des clichés sexistes ancrés dans des genres très viriles. Il y a des exceptions, évidemment mais le postulat de départ est souvent celui-ci.
Kelly Sue DeConnick étant féministe, elle infuse ces genres de féminisme, en mettant en scène des femmes dans des rôles fréquemment dévolus à des hommes ou perçus sous un regard purement masculin. Elle brise donc ces codes en proposant un point de vue féminin. Bitch Planet est un récit vénère car il manifeste toutes les rancœurs de l’autrice envers le patriarcat. Pas les hommes mais la société patriarcale et la soumission provoquée pour les femmes.
Elle pose donc une subversion de ces genres par un postulat qui demande une analyse poussée. On n’a pas à faire à de simples westerns ou de simples récits hérités des séries B. Non, bien au contraire, elle pose des enjeux féministes forts. Dans Bitch Planet, l’autrice ne nous épargne aucun acte subi par les femmes et que les hommes n’ont aucun problème à leur infliger. Rien que le point de départ le montre. En effet, si une femme s’oppose aux règles imposées par les hommes, elles sont envoyées en prison. En gros : subissez la volonté des hommes ou dégagez. Pas si éloigné de la réalité, malheureusement.
Bitch Planet est par ailleurs une réponse aux critiques formulées contre son féminisme. En effet, quand elle a été annoncée sur Captain Marvel, les fans mâles avaient peur qu’elle n’intègre du féminisme de force dans l’intrigue. Bitch Planet est donc conceptualisé comme une réponse vénère à cette affirmation.
Pretty Deadly est, à la base, un western. Mais par la suite, cela va évoluer. Plusieurs genres sont convoquées, entre fantastique, western, guerre et conte. Là encore, certains de ces genres ont souvent été emprunts de sexisme.
Elle mélange ces genres et pose à chaque fois des personnages féminins comme principaux. Au milieu d’un champ de bataille, les figures féminines mystiques apparaissent. Comme dans Bitch Planet, les figures masculines y sont souvent présentées sous un jour peu avantageux. Mais ce sont surtout les entités quasi divines du récit qui en prennent pour leur grade. Ce sont souvent des hommes en position de pouvoir et qui en abusent, faisant des victimes parmi les individus les plus fragiles. Pour les affronter, ce sont des figures féminines qui se dressent. Elles sont mystiques et fonctionnent surtout comme des allégories vivantes dans le récit mais encouragent de manière positive les victimes des abus de pouvoir.
Mysticisme et brutalité.
Chez Kelly Sue DeConnick, que l’on soit face à ses travaux en indépendant ou en mainstream, une chose m’a frappé : sa juxtaposition d’une narration empreinte de mysticisme et la brutalité de la vie réelle.
Pour que cela soit claire, il faut des exemples. Dans Pretty Deadly, le mysticisme se manifeste par la présence de figures spirituels, narrant l’histoire. Des figures qui racontent l’histoire comme un conte et que l’on pourraient imaginer sorti de l’imaginaire de la petite fille suivie pendant le premier arc. Mais on le retrouve aussi dans la présence de carte de tarots et d’un symbolisme fort. La brutalité vient de l’intrigue en elle-même. Violente et sèche, elle met en scène des séquences sanglantes avec de nombreux drames.
Dans Bitch Planet, la brutalité vient des séquences chocs que nous épargnent pas l’autrice. Toutefois, la scénariste est prévenante envers son lectorat, mettant des disclaimers pour nous alerter sur la présence de scènes dures. Ici, le mysticisme vient de la symbolique féministe qu’elle emploie, notamment via le symbole NC ou « Non-compliant ». En français, cela signifierait « non-soumise ». Un symbole fort que l’on retrouve partout dans le récit et qui sert aux femmes à se rassembler. C’est d’ailleurs devenu un signe de ralliement fort pour de nombreuses femmes dans la vie réelle.
Ce mysticisme semble plus complexe à trouver dans Captain Marvel. Pourtant, je perçois des moments qui peuvent s’y apparenter. Le rêve est très présent dans son run. Ainsi, le voyage dans le temps qu’elle effectue peut s’y apparenter, de même que son voyage dans l’espace. Ces deux moments correspondent à des échappatoires face à une réalité qui semble l’étouffer. La brutalité venant du cancer de sa mentor et étant la source du départ dans les deux cas.
Dans Aquaman, il y a plusieurs échos au rêve. Un personnage par exemple est un mystique, communiquant avec Arthur via ses songes. Ici, la brutalité du monde sera à chercher dans le second arc de la série, le premier se contentant de poser les bases. Il est donc compliqué d’en parler clairement sans vous spoiler.
Ce qui en ressort, c’est un moyen pour les personnages de sortir de leur quotidien par des symboles ou en s’évadant dans le mystique. Kelly Sue DeConnick l’utilise beaucoup et quand on s’amuse à décortiquer son œuvre, on voit des signes de cette dualité à de nombreuses reprises. Même si j’extrapole pour Captain Marvel, je trouve que c’est une manière de percevoir l’histoire qui se tient, surtout lorsque l’on analyse les motifs graphiques employés.
Pour conclure.
Kelly Sue DeConnick, je le dis et je le répète me parait être une des autrices les plus importantes du moment. Peu prolifique, on sent dans chacun de ses récits une attention au détail et une envie de bouger les lignes. Le tout se double de discours politique, souvent féministes mais parfois plus généraux.
Parmi les récits à vous conseiller, Bitch Planet, Captain Marvel et Aquaman me paraissent être ses œuvres majeures. Seul le tome 1 de Pretty Deadly est dispo et la série semblent avoir été abandonnée par son éditeur français.
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