L’art de Todd McFarlane : j’aime ou j’aime pas ?
L’art de Todd McFarlane : j’aime ou j’aime pas ?
Avant de démarrer votre lecture de cet article, un petit mot du Grinch‘. Avec cet article, nous accueillons Style Comics, vidéaste et blogueur à qui nous avons proposé l’hébergement de ces articles. Il va revenir sur le style graphique d’artistes du monde du comics. Et pour ce premier numéro, il s’attaque à l’art de Todd McFarlane !
Bonne lecture et bourrez les partages si cela vous a plu !
Todd McFarlane a été, avec Jim Lee, le dessinateur superstar de la fin des années 80, début des années 90. Après des premiers pas discrets chez DC Comics (Batman : Year two, Infinity Inc.), il passa chez Marvel et reprit en main, de 87 à 88, le destin graphique de la série “Incredible Hulk”, scénarisée par Peter David. Mais c’est son arrivée sur The Amazing Spider-Man (au numéro 298) qui lui apporta la consécration et il resta lié au personnage jusqu’à son départ, avec cinq autres artistes, pour aller créer Image Comics. Il va y lancer l’increvable série SPAWN, qui compte à ce jour plus de 320 épisodes au compteur et une pléthore de mini-séries et autres spin-off.
L’artiste canadien s’éloigna rapidement des contraintes des publications mensuelles et laissa les pages séquentielles de Spawn à d’autres. Il continua cependant à encrer son rejeton de l’enfer pendant longtemps et livre encore régulièrement des couvertures.
Un artiste multi-tâches.
Car Todd McFarlane, ce n’est pas que l’art graphique. Il est aussi un scénariste, un créateur de jouets, un businessman chevronné, un collectionneur fan de sports, un producteur de film qui souhaite passer à la réalisation et aussi un habitué des procès tournant autour de droits d’exploitation de personnages de comics et de patronyme (la fameuse affaire impliquant le vrai joueur de hockey Tony Twist) !
Il reste cependant, pour bon nombre de lecteurs de comics, celui qui a un peu révolutionné l’univers du Tisseur de Toile en y apportant des éléments graphiques qui vont perdurer après son passage : un masque avec de grands yeux, des poses acrobatiques alambiquées et la fameuse toile “spaghetti” dont il reprit le design à deux de ses modèles (Michael Golden et Arthur Adams) mais dont il usa de façon plus dynamique.
Avec des millions de comics vendus, une franchise de plus de 25 ans et un style graphique qui a influencé d’autres dessinateurs (Tony Daniel, Greg Capullo, Angel Medina), Todd McFarlane pourrait être considéré comme un des grands artistes du comic book.
Et pourtant…
J’avoue avoir une relation amour / haine avec l’art de Todd McFarlane. Comme tout le monde, j’ai été ébloui par les postures ahurissantes qu’il a données au Tisseur dès son arrivée sur le titre.
Mais bien que sous le charme de la nouveauté et de l’originalité de son style, je ne pouvais pas m’empêcher de voir, ici et là, des trucs qui fonctionnaient moins bien par rapport à des artistes classiques comme John Romita, Ron Frenz ou encore Ross Andru.
Et plus McFarlane était en contrôle de son œuvre, plus il me semblait céder à ses facilités et raccourcis. La lecture des premiers Spawn finit par me décider à jeter l’éponge..
Mais qu’est-ce qui a fait que l’artiste a conservé une telle fanbase ? Qu’est-ce qui m’a plu à l’époque et qu’est-ce qui a fini par m’éloigner ? C’est ce que je vous propose de découvrir ici à travers une petite liste de “J’aime / Je n’aime pas”.
Je n’aime pas : l’anatomie des personnages.
Todd McFarlane est très loin d’être un modèle à suivre lorsqu’il s’agit de rendre une anatomie humaine crédible.
Là où son ami/ennemi Rob Liefeld a été noyé sous des avalanches de moqueries, notre cher Todd est toujours passé miraculeusement entre les critiques balistiques des fans.
Pourtant, il ne faut pas avoir fait médecine pour voir qu’il n’est pas plus doué que le papa des Youngblood.
Positionnement variable des muscles, forme de genoux à la tête du client, dessins des pieds avec les pieds et représentation des mains à deux doigts de l’amateurisme : McFarlane a livré des versions limite grotesques de nombreux super-héros qui sont passés sous ses crayons, les pires étant Wolverine et X-Force lors de son run solo sur Spider-Man.
Et lorsqu’il s’éloigne des personnages musculeux, ce n’est pas forcément mieux. Il semble peiner à dépeindre des corps crédibles et multiplie les artifices (vêtements amples, silhouettes massives ou filiformes, gros plans de visages) pour cacher la misère.
J’aime : le volume de certains personnages.
Mais via son art graphique, Todd McFarlane sait comment donner du volume à ses héros. Spider-Man et Spawn ont fréquemment donné l’impression de sortir littéralement de la page, leurs muscles semblant saillir de la surface de la page.
L’artiste utilise pour cela plusieurs techniques : des angles en plongée ou contre-plongée pour créer de la profondeur, un habile jeu d’ombres sur les tenus moulantes pour souligner les formes des muscles et des dizaines de petits traits qui viennent ombrer des zones clefs et simuler du volume.
McFarlane excelle tout particulièrement dans le rendu des torses et des épaules, ce qui va expliquer que son Spider-Man soit plus musculeux que ses versions précédentes.
Je n’aime pas : le côté plat des autres personnages.
Ce soin apporté à l’aspect tridimensionnel des personnages n’est cependant pas constant chez le dessinateur canadien. On a même l’impression que ce traitement de faveur est réservé aux personnages chanceux qui bénéficient d’une pin up dans une planche promise à une vente lucrative auprès de collectionneurs.
Car le reste du temps, McFarlane semble se soucier un peu moins de donner du corps à ses protagonistes. Dans la plupart des cases séquentielles, il opte pour une simplification des silhouettes et leur donne même un côté anguleux et raide en décalage avec la rondeur de ses personnages principaux.
C’est d’ailleurs, je trouve, un des premiers signes qui montre que l’artiste a été dans la même logique que Liefeld : produire vite ses planches, en fournissant des efforts particuliers sur des cases mettant bien en valeur les personnages populaires et expédiant la représentation des autres malheureux.
J’aime : les visages diversifiés.
Le moins qu’on puisse dire, c’est que McFarlane ne s’est pas contenté de construire tous les faciès de ses héros sur deux modèles types de visages.
Avec son style à la limite de la caricature et sans doute inspiré, là encore, par le génial Michael Golden, l’artiste canadien a le bon goût de proposer à chaque fois des gueules uniques, variées et souvent révélatrices de la personnalité de son propriétaire.
Qu’importe à nouveau la crédibilité anatomique. Ses mafieux dans Spawn semblent tout droit sortis des pages de Dick Tracy dessinées par Chester Gould et son tandem de flics, Sam et Twitch, devient immédiatement iconique dans le genre “Laurel et Hardy” de la police.
Je n’aime pas : ses dessins de femmes.
Les personnages féminins ne sont pas légions dans les comics de Todd McFarlane. On peut rapidement citer Mary-Jane dans Spider-Man et Wanda et Angela dans Spawn. Et il est assez clair que le dessinateur les a sciemment évitées, conscient sans doute des difficultés qu’il rencontrait à leur rendre justice.
Car les personnages féminins chez McFarlane ne resteront pas dans les mémoires. Avec des visages bien souvent au mieux peu gracieux et au pire asymétriques, elles doivent souvent se contenter d’une paire de seins ronds et mis en valeur, d’épaules larges de nageuses olympiques et d’une taille si fine qu’elle semble toujours sur le point de casser.
Leurs postures sont souvent rigides, leurs yeux immenses et leur bouche victime de grimaces à la moindre parole. Pas étonnant qu’Angela s’en sorte un peu mieux, avec un design schizophrène chargé d’une multitude de détails inutiles (dont son fameux ruban de GRS) mais prenant soin de la dénuder grandement (parce qu’il faut bien vendre.).
Et si vous gardez un lointain souvenir que Todd savait dessiner des jolies filles à l’époque de The Amazing Spider-Man, je vous conseille d’aller voir les crédits d’encrage. Vous verrez alors que Bob McLeod et Joe Rubinstein ont beaucoup embelli les visages au passage…
J’aime : les poses dynamiques et iconiques de Spider-Man.
Je l’ai mentionné plus haut et je l’avoue de nouveau sans honte. J’ai été et suis sans doute encore un peu fasciné par les poses “McFarliennes” du Tisseur. Plus jeune, je les ai décalquées à outrance et les ai dessinées jusqu’à plus soif pour comprendre ce qui les rendait si uniques.
Je voyais pourtant les raccourcis un peu faciles dans la position des membres. Pire, je n’avais aucun doute sur le fait qu’elles étaient aussi approximatives anatomiquement qu’improbables comme mouvement. Mais elles fonctionnaient visuellement. Pourquoi ?
Je crois que c’est parce que Spider-man y avait toujours quelque chose d’insectoïde, d’inhumain. A la fois replié sur lui-même et les membres écartés comme des pattes, il ne semblait fonctionner que ramassé dans un coin, avachi sur un toit ou rampant sur un mur.
Dès qu’il se tenait droit ou était debout, le charme semblait se briser. Mais quand McFarlane le tordait à nouveau pour le tendre sur un axe imaginaire et dynamique, on retrouvait un sourire ébahi.
Je n’aime pas : presque toutes les autres poses.
Le prix à payer quand on s’appelle Style Comics et qu’on veut plonger dans l’art graphique du comic book est qu’on doit parfois revenir vers des planches dont on garde un bon souvenir… et parfois se confronter avec horreur à la dure réalité que nos sens juvéniles de fanboy nous avaient cachée.
C’est ce qui m’est arrivé en préparant cet article et en me replongeant dans les pages du run solo de McFarlane de Spider-Man. Il m’avait semblé vraiment pas mal à l’époque. Et puis, j’ai revu les épisodes avec Wolverine et particulièrement ces pages.
Si dans son art, Todd McFarlane a réussi à créer un langage corporel unique pour Spider-Man, il n’a clairement pas été capable de réitérer l’exploit avec d’autres héros. Il semble ici s’inspirer (vaguement) du style délirant mais maîtrisé de Sam Kieth qui a dépeint en son temps le Logan le plus sauvage qui soit.
Mais McFarlane est très loin de son modèle et force est de constater qu’il a donné très souvent des postures disgracieuses, maladroites et même ridicules à de nombreux super-héros.
J’aime : la texturisation de la saleté et de l’usure
Lorsqu’on pense aux planches de Todd McFarlane, on a souvent en tête des ruelles crades, des murs usés, des personnages aux vêtements élimés ou encore des épidermes marqués.
De la texture du Violator aux écailles du Lézard, en passant par les compagnons sans abri de Spawn, McFarlane semble aimer passer des heures à tracer inlassablement des dizaines de traits pour remplir ses pages de marque d’usure ou de saleté.
Au premier abord, on pourrait se dire qu’il se situait finalement dans la lignée d’autres artistes de l’époque qui rivalisaient de détails et de hachures en tout genre.
Mais contrairement à Jim Lee, par exemple, McFarlane ne remplit pas ses cases systématiquement. Il semble avant tout fasciné par tout ce qui évoque la décrépitude, le chaos ou la destruction. Il ne cherche d’ailleurs pas forcément à coller à la réalité de la texture et il semble moins à l’aise avec tout ce qui est neuf ou métallique.
En revanche, il excelle à retranscrire une déliquescence poisseuse, une violence organique et surtout, des villes oppressantes et décadentes. Une approche visuelle qui détonne totalement à l’époque sur Spider-Man, en lui conférant un petit côté plus “edgy”, mais prend davantage de sens, par la suite, dans l’univers macabre de Spawn.
Je n’aime pas : les designs de la technologie.
Lorsqu’il évoque les premières versions de son héros Spawn, Todd McFarlane rappelle qu’il l’envisageait au départ dans une série de science fiction et plus précisément de space opera. Fort heureusement, il n’a pas persisté dans cette voie car l’artiste ne semble pas fait pour dessiner de la technologie avancée.
Si ses débuts sur Amazing Spider-Man ont pu laisser entrevoir quelques machines ici et là, il est devenu assez clair qu’il penchait du côté des dessinateurs plus à l’aise avec l’organique qu’avec les machineries en tout genre.
Il est, là encore, très proche de Rob Liefeld.
Leurs effets de reflets métalliques ne sont pas toujours maîtrisés, ils peinent à donner au métal un aspect solide et les armes qu’ils dessinent sont, au mieux, des représentations approximatives de vrais modèles et, au pire, de gros cylindres argentés et bizarres censés être des canons futuristes !
Je n’aime pas : son découpage de page.
Voilà au final, la vraie raison qui m’a fait m’éloigner de l’art de Todd McFarlane. Son storytelling. Et je ne parle pas de Todd le scénariste et de sa propension à couvrir ses pages de captions et bulles très souvent inutiles, plombées par une plume qui se voudrait Alan Mooresque ou même Franck Millerienne.
Non, je pointe un doigt gentiment accusateur vers Todd le dessinateur qui, à mesure qu’il s’est affranchi des scénarii des autres (et notamment ceux du brillant David Michelinie) pour devenir son propre auteur, a laissé libre court à une narration séquentielle toute personnelle.
Je ne contesterai pas ici le flair de McFarlane en ce qui concerne la construction de jolies pin up au sein de ses comics.
Si Spider-Man en a grandement bénéficié, c’est sur Spawn, à mon avis, qu’il a réussi à pousser le plus loin cette approche, jouant notamment avec sa cape démente et ses chaînes tentaculaires.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que de nombreuses couvertures de la série restent, encore aujourd’hui, des petits bijoux graphiques alors que la plupart de leurs consœurs des 90’s ont très mal vieillies.
On trouve de jolies pin up au sein de ses comics
Je peux aussi admettre que l’homme s’est laissé tenter par quelques expérimentations intéressantes comme ces cases fréquemment délimitées par des amas de toile dans Spider-Man.
J’avoue avoir même cru pendant un instant que son recours abondant à des cases verticales allait devenir un langage de narration qui ferait sens.
Mais au final, j’ai fini par me dire que ce goût pour la verticalité n’était peut-être qu’une ruse pour dessiner chaque fois un peu moins.
Car dans ces cadres restreints, McFarlane peut user et abuser des gros plans, des silhouettes et autres vues partielles d’un décor pour s’économiser ou gagner du temps.
Il peut ainsi remplir la page plus rapidement car bardée de ces cases immenses et si fines à la fois.
On peut, évidemment, trouver parfois du sens à cette verticalité, comme dans cet exemple avec Ghost Rider qui suspend un criminel au-dessus du vide. Mais très souvent, ce n’est pas le cas.
Et ce n’est pas ses autres styles de découpages qui viennent nous convaincre des intentions louables de l’artiste en matière d’art séquentiel.
Produit de son époque bénie des spéculateurs en quête d’une planche originale ou d’un comics collector, le storytelling de McFarlane privilégie des compositions tape-à-l’oeil, dont le dynamisme est souvent illusoire.
Les cases s’enchaînent sans forcément se lier, quant elles ne viennent pas se gêner mutuellement dans un chaos qui demande aux lecteurs un petit effort d’attention.
La mention spéciale dans ce domaine revient tout particulièrement au chapitre 4 de l’arc “Tourment” de la série Spider-Man. Todd y assure le scénario, le dessin, l’encrage mais aussi la couleur ! Et c’est une expérience difficilement regardable aujourd’hui, tant les choix colorimétriques de l’artiste y sont, selon moi, une épreuve pour la rétine et le bon goût.
Conclusion
Je ne peux pas dire que Todd McFarlane fait partie de mon panthéon de dessinateurs de comic book.
Je concède volontiers qu’il a créé ou popularisé des éléments visuels iconiques de Spider-Man, qu’il a aussi apporté un style frais et différent à l’époque et qu’il a su cultiver avec Spawn une veine graphique qui lui convenait parfaitement, à la manière d’un Mike Mignola sur Hellboy.
Mais l’aura de superstar du comics qui l’entoure m’a toujours semblé exagérée au regard de sa production et de la qualité de ses planches en général. Bien meilleur encreur que dessinateur, il n’a pas su proposer une vision artistique suffisamment forte pour me faire rêver de voir d’autres personnages prendre vie sous ses crayons.
Et il n’est pas facile de revenir sur ses travaux aujourd’hui, à l’heure où bon nombre d’artistes qui ont “grandi” dans son ombre ont réussi à se réinventer, se renouveler et surtout à s’améliorer. Ce petit retour en arrière sur ses principaux comics m’a fait exploser au visage les défauts sur lesquels je jetais autrefois un voile pudique de fanboy.
Voici donc pourquoi je peux dire aujourd’hui que je n’aime plus l’art graphique de Todd McFarlane.
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