L’art et le style de Mike Mignola – Dans l’antre de la folie graphique !
Bonjour et bienvenue dans ce nouveau dossier concocté par StyleComics. Cette fois, il se penche sur Mike Mignola, dont l’art et le style sont désormais reconnus pour l’univers de Hellboy.
Bonne lecture !
Table des matières :
- Introduction
- Partie 1 – Tout commence avec un raton laveur
- Partie 2 – Du grand vert au grand nord canadien
- Partie 3 – Un spectral étranger et un étrange docteur
- Partie 4 – Une odyssée cosmique et une enquête victorienne
- Partie 5 – Deux adaptations de deux monstres !
INTRODUCTION – LA QUETE DU STYLE AU PRIX DE LA RECONNAISSANCE ?
Avoir un art et un style graphique personnel, reconnaissable et apprécié, c’est sans doute l’ambition de nombreux artistes de comics qui n’aspirent pas seulement à livrer des pages, être payés et passer à autre chose. Cette quête peut paraître égotique ou prétentieuse mais elle ne l’est pas, selon moi. Elle reflète au contraire une envie artistique forte, un souhait de se réaliser à travers son dessin et surtout, le désir de ne pas plier sa passion aux contraintes commerciales, aux modes du moment.
Contrairement à ce que certains peuvent penser, l’univers du comic book n’est pas aussi formaté artistiquement. Certes, il y a eu des artistes dont la popularité a poussé de nombreux autres à s’en inspirer. On constate aussi que le genre super-héroïque est celui où l’expérimentation visuelle est la moins importante, notamment sur les grandes franchises de Marvel et DC. Mais les années 2000 ont considérablement fait évoluer les choses et les styles graphiques sont aujourd’hui plus variés que jamais.
L’art et le style de Mike Mignola illustre d’ailleurs parfaitement cela. Au fil des décennies, il n’a cessé d’absorber des influences pour les faire siennes, trouvant petit à petit la volonté de s’éloigner des cahiers des charges de Marvel et DC pour creuser son propre sillon. L’écart qui sépare le Mignola de Rocket Racoon et celui d’Hellboy in Hell est saisissant et représente sans doute une des évolutions artistiques les plus originales et spectaculaires des comics.
Une reconnaissance tardive pour un talent qui se cherchait
Si les passionnés de dessin pouvaient dès la fin des années 80 détecter l’immense talent discret de l’artiste, les lecteurs de comics en général ne lui ont que tardivement accordé le statut de star ou de « modern master ». D’ailleurs, encore aujourd’hui, son style peut diviser.
Certains pourront être fascinés par l’abstraction de plus en plus forte dans ses dernières planches. D’autres pourront regretter l’époque où l’anatomie de ses personnages demeuraient crédibles et détaillées. Cette reconnaissance lente et tardive peut être expliquée par plusieurs facteurs.
Un style et une approche de l’art en décalage
Tout d’abord, Mike Mignola n’a jamais eu un style « tendance », ancrée dans les références de l’époque. Dans les années 80-90, il a petit à petit poussé son dessin vers une abstraction presque géométrique, allant à l’encontre de la surcharge testostéronée et détaillée de la génération Image Comics. Ses passages sur X-Force, Wolverine ou encore Doctor Strange, tout magnifiques qu’ils étaient, semblaient déjà en décalage stylistique avec les autres artistes de l’époque.
De plus, Mignola s’est éloigné rapidement des séries régulières. En effet, il a rapidement privilégié les one-shot, mini-séries ou graphic novel, plus adaptés à son rythme de production. Il n’a donc pas été associé à des « runs » ou des personnages connus et il n’était pas toujours simple de suivre sa carrière.
Enfin, Mike Mignola a lui-même continué à brouiller les cartes en passant d’un éditeur à un autre et d’un genre à un autre (fantasy, horreur, science-fiction). Chez Marvel et DC, il teintait le genre super-héroïque d’ambiances ou de références qui lui parlaient davantage (le cosmique à la Kirby dans Cosmic Odyssey, le gothique dans Batman : Gotham by Gaslight).
Mais ce qui a surtout, selon moi, retardé cette reconnaissance, c’est que Mignola ne semblait pas avoir trouvé l’univers dans lequel il pouvait pleinement s’épanouir graphiquement. Ainsi, il donnait souvent l’impression de livrer des jobs de qualité mais de commande, en continuant à se chercher. Et c’est pour cela que la création d’Hellboy et du « Hellboyverse a sonné comme une nouvelle naissance artistique.
Car même si beaucoup de choses dans ses planches précédentes annonçaient déjà la construction de ce style graphique si particulier, c’est l’univers d’Hellboy qui semble lui avoir donné une raison d’être.
Un univers entier de styles graphiques
Que l’on aime ou pas le style / l’art de Mike Mignola, force est de constater que l’artiste s’est imposé petit à petit comme un narrateur à part, avec son propre langage, sa propre approche de l’épure et des ombres et surtout, une capacité à construire des planches aussi claires dans le storytelling qu’envoutantes dans la représentation picturale.
Il a su aussi construire dans les comics un monde personnel, bercé de ses lectures et envies et le faire fructifier sur plusieurs séries et médias.
Le « Hellboyverse » est ainsi devenu un espace visuellement passionnant que d’autres artistes sont venus arpenter et dépeindre avec leurs propres talents et visions, sans chercher forcément à imiter le maître.
De Guy Davis à Jason Shawn Alexander, en passant par Richard Corben, James Harren ou Max Fiumara, les séries dérivés d’Hellboy proposent à chaque fois des rendez-vous artistiques intéressants.
Ce grand dossier sera consacré à l’évolution du style graphique de Mike Mignola mais aussi aux forces des nombreux dessinateurs qui sont venus se frotter à ce héros, à ses alliés (B.P.R.D, Abe Sapien) ou à la multitude des autres personnages inventés par Mignola et ses co-scénaristes au fil des années (Witchfinder, Lord Baltimore, Lobster Johnson, etc.).
Je vous remercie vous, lecteurs, d’avoir la curiosité de pousser cette petite porte vers l’exploration graphique d’un des artistes les plus fascinants du monde du comics.
Alors enflammez votre torche, vérifiez vos amulettes et rechargez votre « Good Samaritan » (le pistolet d’Hellboy dans le film de Guillermo del Toro) : nous allons commencer la descente dans les ténèbres…
Partie 1 – Tout commence avec un raton laveur !
Je ne vais pas revenir ici sur le parcours professionnel de Mike Mignola car d’autres l’ont fait beaucoup mieux que moi (et il y a même un projet de documentaire sur lui, baptisé « Drawing monsters », qui vient d’être financé). Je vous propose plutôt de nous plonger directement dans l’un de ses premiers titre : Rocket Racoon. Scénarisé par Bill Mantlo et publié entre mai et août 1985, il présente le célèbre rongeur de l’espace. A noter que Mike Mignola est encré par Al Gordon et Al Milgrom pour l’épisode 3.
Après s’être fait la main en tant qu’encreur sur quelques titres Marvel (et il n’était pas très bon de son propre aveu), Mike Mignola se retrouve à travailler sur la mini-série en 4 épisodes consacrée à l’une des futures stars des Gardiens de la Galaxie.
Entrée par la petite porte…
Difficile de reconnaître, à première vue, l’art et le style graphique du Mike Mignola qu’on connaît désormais.
La comparaison entre la couverture de l’époque et celle qu’il signa des décennies plus tard pour un recueil consacré au même personnage en dit long sur le chemin artistique parcouru.
A part quelques aplats de noir, on aurait du mal à croire qu’il s’agit du même dessinateur !
Tout y est différent. De la texture des poils à la gestion de l’espace. L’utilisation des axes de composition au design de la technologie, etc.
Je trouve que le plus parlant est la gestion de la lumière. Si l’ancienne couverture Mignola utilise des silhouettes sombres en fond, c’est avant tout pour ne pas surcharger en détails et créer l’illusion de plusieurs niveaux de plans.
Mais il n’y a pas d’éclairage particulier dans la scène, comme on peut le voir sur Rocket qui n’est pas ombré.
Dans la couverture la plus récente, au contraire, on retrouve l’approche connue de Mike Mignola. Il utilise une source de lumière forte pour créer des ombres projetées denses et donc de larges aplats de noir.
Ce procédé est utilisé par de nombreux dessinateurs : Alex Toth, Franck Miller, Darwyn Cooke, Paul Azaceta, Eduardo Risso pour n’en citer que quelques-uns. Mais Mike Mignola est celui qui, selon moi, l’utilise autant pour la composition du dessin que pour la création d’une ambiance.
D’autres influences que Jack Kirby
Le King Kirby est une référence très souvent citée lorsqu’on parle du style et de l’art de Mike Mignola. J’y reviendrai sans doute au moment de parler du récit Cosmic Odyssey qu’il a fait chez DC.
Mais les pages intérieures de Rocket Raccoon semblent, elles aussi, à mille lieux de ces futurs travaux. Si on peut noter que Mignola sait déjà utiliser ses aplats de noirs pour composer ses planches, on est ici face à un style beaucoup plus détaillé et réaliste. Le travail des textures (mur, pelage, tissus) fait penser à des artistes des 70’s, début 80’s tels que Barry Windsor Smith (Monsters, Conan, Weapon X), John Buscema (Savage sword of Conan), ou Mike Ploog (Ghost Rider, The Monster of Frankenstein de Marvel mais aussi, un des artistes derrière les sublimes horreurs du film THE THING de John Carpenter).
On peut même remonter un peu plus loin et y voir l’héritage de dessinateurs classiques comme Al Williamson, Graham Ingels ou Wally Wood qui ont livré, notamment pour EC Comics, des œuvres d’horreur et de science-fiction marquantes. Outre une approche académique du dessin et une imagination foisonnante, ces artistes avaient aussi pour particularité de livrer des planches dans lesquelles l’équilibre entre les détails et les ombres étaient toujours savamment orchestrés, notamment pour générer des ambiances horrifiques.
On note cependant que Mignola ne vise pas forcément le degré de réalisme de ses aînés et qu’il y a déjà chez lui quelques velléités de simplifier un peu certaines formes. Le personnage de Rocket Racoon est, par exemple, assez stylisé au niveau de son pelage et de son visage qui a presque un effet « cartoon » avec ses grands yeux ronds.
Dans la pin-up ci-dessous, on trouve aussi quelques premiers signes d’une réflexion de l’artiste sur l’utilisation des grands espaces vides pour organiser son image.
Sa composition évoque déjà ce qu’il fera plus tard sur de nombreuses couvertures, à savoir la mise en exergue de personnages sur un fond épuré, presque vidé, tout juste traversé de quelques détails. La bâtisse sur la colline forestière est ainsi remarquablement stylisée et Mignola parvient à la faire cohabiter avec une lune détaillée uniquement d’un côté pour ne pas créer de surcharge.
Au final, Rocket Raccoon n’est clairement pas une série qui ravira les fans de Mignola (d’aujourd’hui ou des vingt dernières années). Mais il est intéressant d’y trouver quelques germes des principaux traits caractéristiques du style en devenir de l’artiste.
Partie 2 – DU GRAND VERT AU GRAND NORD CANADIEN.
Mike Mignola continue son parcours chez Marvel et on constate qu’il ne cesse de s’améliorer. Si on est encore très loin de son style signature, il va livrer des planches travaillées et claires, à défaut d’être innovantes. Mais ses dessins vont devoir cohabiter avec des encreurs assez différents.
Du Mignola plus brut de décoffrage !
Mike Mignola va donc passer sur le titre The Incredible Hulk, toujours avec le scénariste Bill Mantlo. On pourrait penser que son arrivée sur une série mettant en scène un monstre aurait permis à l’artiste d’être en terrain plus familier et donc d’y développer un style plus personnel ou du moins, plus proche de ce qu’il fera plus tard. Mais ce n’est pas le cas.
Pour autant, de ce que j’ai pu en voir rapidement, c’est effectivement mieux que sur Rocket Raccoon mais dans une veine tout aussi classique.
Au travers d’histoires mixant aussi bien des drames personnels que des voyages extra-dimensionnels, Mignola va montrer qu’il est capable de livrer des planches assez détaillées, au découpage clair mais sans génie.
Il ne poursuit pas cependant son travail sur l’épure ou sur les ombres ce qui donne, à l’ensemble, une facture très classique, sans originalité particulière.
Saturation d’encreurs
On pourra aussi émettre de fortes réserves concernant l’encrage que pose Gerry Talaoc sur Mike Mignola. Bien que précis, l’encreur donne à l’ensemble un côté assez brut et viscéral. Ce qui n’est pas rappeler un peu les traits de Gene Colan ou le style de Tom Palmer.
Loin des lignes fines et aplats de noir que Mignola utilisera plus tard pour accentuer son approche figurative, Talaoc travaille vraiment bien les textures (le bois notamment) avec une myriade de coups de pinceau. Mais il peine, selon moi, à faire ressortir les personnages et les différents plans à l’intérieur des cases.
Les éléments métalliques et technologiques en pâtissent pas mal. Le rendu est souvent inégal, comme si certaines cases étaient encrées beaucoup plus à la hâte que d’autres. Mais à défaut de bien se marier avec le style encore en germe de Mignola, je trouve que l’encrage de Talaoc correspondait bien à l’ambiance de ces épisodes. Effectivement, il en renforce notamment le côté horrifique, en rappelant justement certaines des références de Mignola, comme Mike Ploog.
Il est intéressant de noter que Mike Mignola assurait seul les couvertures des épisodes. Certaines permettent de voir que son propre encrage est radicalement différent de ce que fait Gerry Talaoc.
Personnellement, je ne trouve pas qu’il apporte quelque chose en plus et il semble même peiner à trouver un style qui renforce son crayonné.
En revanche, c’est vers la fin de son run sur Hulk, juste avant son passage sur Alpha Flight, que j’ai commencé à repérer les prémisses de son talent pour la composition stylisée de couvertures.
Celle du numéro 313 est notamment très intéressante avec ces créatures à l’anatomie juste mais simplifiée, évoquant tout à la fois des créatures d’Heroic Fantasy et des trolls d’Hellboy.
Alpha pas gloups
Pour mémoire, la bascule de Mike Mignola sur Alpha Flight a provoqué, à l’époque, la colère de nombreux fans de la série (dont votre serviteur) ! Mais à une époque sans réseaux sociaux ni même Internet, il ne nous restait que le courrier des lecteurs du mensuel STRANGE pour nous plaindre !
La « Division Alpha » avait été, en effet, lancée, scénarisée et dessinée par l’immense John Byrne. Ce dernier s’étant lassé de son équipe canadienne, Marvel avait alors accepté qu’il récupère Hulk au numéro 314 et que l’équipe artistique de ce dernier prenne la suite de Byrne sur Alpha Flight au n°29.
Pour vous donner un ordre d’idée, le choc de la transition était à peu près le même que celui de passer de Jim Lee à Rob Liefeld dans le crossover X-Tinction Agenda !
Cependant, Mike Mignola ne resta pas longtemps sur les pages de la série (à peine deux numéros) mais il continua à illustrer quelques couvertures.
Ce sont d’ailleurs ces dernières qui méritent vraiment le coup d’œil car on y distingue de plus en plus la capacité de l’artiste à alléger son dessin des détails superflus.
Cela se verra particulièrement sur l’anatomie des personnages dont la musculature est simplifiée sans perdre de sa crédibilité. Une tendance qu’il va de plus en plus renforcer au fil des années et qui va commencer à rendre sa patte graphique reconnaissable. L’art et le style de Mike Mignola s’affirme donc d’abord sur des couvertures.
On voit cependant que le dessin de Mignola reste assez rond et généreux en musculature massive. On est encore loin de son approche plus rigide et droite des silhouettes. Les corps demeurent dans les standards des comics et les proportions ne sont pas challengées comme il le fera plus tard chez DC, en donnant notamment à Superman un torse plus massif que ses jambes.
Pourtant, Mike Mignola semble enfin se lancer sur ses premières expérimentations vers la simplification de son style. Difficile de dire, à l’époque, si c’est une démarche artistique consciente ou bien une obligation pour se plier davantage au rythme mensuel attendu pour les comics. Mais la suite de sa carrière montre qu’il va poursuivre dans ce sens et s’y révéler un maitre en la matière.
Partie 3 – UN SPECTRAL ETRANGER ET UN ETRANGE DOCTEUR
Vers la fin des années 80, Mike Mignola va passer la seconde et poser les bases de son futur style graphique. S’il reste encore dans une veine réaliste héritée de ses illustres modèles, il commence cependant à expérimenter davantage sur la simplification de son trait et de ses compositions de plans.
Un détour par Moorcock
En 1987, Mike Mignola rejoint le scénariste Mike Baron pour signer, chez First Comics, l’adaptation des Chroniques de Corum.
Tirée des écrits de Michael Moorcock, le père littéraire de Corum, cette série nous plonge dans un univers de fantasy et nous entraîne dans la quête vengeresse de Corum Jhaelem. Elle est éditée en France chez Delcourt mais attention Mignola n’est pas le seul artiste à prendre en charge les planches.
Un passage sur ses pages nous permet cependant de voir que sa mutation graphique a bien commencé et qu’elle se situe dans la lignée de ce qu’il faisait sur les couvertures d’Alpha Flight.
S’il continue de nourrir, par endroit, ses cases de détails et de designs complexes, il y amorce plus franchement la simplification de ses arrière-plans, quitte à les faire disparaître. Là encore, difficile de dire si cette épure découle des délais et du travail important de création que demande ce récit. Mais à aucun moment, Mignola ne semble appauvrir visuellement l’univers adapté.
Retour chez DC entre Superman et Phantom Stranger
De 1987 à 1988, Mignola revient chez DC. Il va y osciller entre deux genres. Tout d’abord, l’occulte avec la série Phantom Stranger (scénarisée par Paul Kupperberg et encrée par P. Craig Russel). Ensuite, la science-fiction avec World of Krypton (écrite par John Byrne, encrée par Rick Bryant) et surtout la maxi-série Cosmic Odyssey (scriptée par Jim Starlin et encrée par Carlos Garzon). Je reviendrai une prochaine fois sur cette dernière œuvre car il y a beaucoup de choses à dire dessus.
Les épisodes de Mike Mignola sur Phantom Stranger et World of Krypton sont accessibles en VO dans le recueil que DC a consacré à l’artiste : The DC Universe of Mike Mignola. Avec ses 400 pages accessibles à moins de 20 dollars, ce trade paperback est réservé aux fans de Mignola car le niveau graphique des histoires varie beaucoup, l’éditeur ayant puisé sur plus d’une décennie de matière.
Mais si les épisodes sur Krypton sont vraiment très faibles, le recueil a le mérite de donner à voir l’évolution de Mignola en vous amenant de son arrivée sur Phantom Stranger à ce monument qu’est Batman : Sanctum, épisode fondateur du style et de l’art de Mike Mignola sur Hellboy.
A noter que ce volume vaut aussi le détour pour quelques épisodes voyant Superman affronter Man-Bat, puis Silver Banshee. Mais c’est surtout la sublime histoire courte écrite par Neil Gaiman et mettant en scène le Floronic Man, ennemi de Swamp Thing qui vaut le détour. Sans parler de la pléthore de couvertures réalisée pour diverses séries et qui montre à quel point Mignola maîtrise l’exercice…
Attardons-nous quelques lignes sur le style graphique de la mini-série en 4 épisodes du Phantom Stranger. A première vue, les planches y sont beaucoup moins élégantes que sur les Chroniques de Corum. La raison semble venir de changements au niveau de l’encrage d’un épisode à l’autre.
En effet, dans les épisodes 1 et 4, Mignola est crédité comme « artist » alors que pour les 2 et 3, on ne lui accorde que les « breakdowns », soit les crayonnés rapides qui définissent le découpage, les positionnements des personnages, etc. Dans ces deux épisodes, on devine que l’encreur P. Craig Russel a dû sans doute se référer davantage à son propre style et le résultat est plus clair, moins détaillé que les numéros 1 et 4.
On ne retrouve pas le même travail de hachures ou de traits de textures en tout genre. L’utilisation des aplats de noir semble moins important et l’ambiance plus « creepy » du premier épisode s’efface peu à peu.
Évidemment, Mike Mignola n’est pas non plus en total maîtrise de son (futur) nouveau style. Son placement des ombres est, par exemple, moins cohérent et systématique que ce qu’il fera plus tard. On pourra aussi tiquer en voyant certaines expressions faciales à la fois exagérées et figées, notamment quand les personnages crient.
Mais la planche plus bas montre déjà quelques prémisses encourageants de ce que va devenir le style graphique de Mignola : une dominance des aplats de noir dans chaque case ; un agencement méticuleux de détails stylisés au niveau des personnages et de décors tout juste suggérés par quelques traits.
Et aussi ces petits stratagèmes pour éviter de dessiner les jambes et les pieds de ses personnages, que ce soit en les cadrant au niveau des genoux ou en utilisant les ombres pour les réduire à des formes géométriques !
Faites entrer les docteurs !
Faisons maintenant un petit saut dans le temps vers l’année 1989. Mike Mignola revient chez Marvel pour signer avec le scénariste Roger Stern le récit « Doctor Strange / Doctor Doom : Triumph and Torment ». Mention spéciale aussi à Mark Badger car il assure ici l’encrage et la colorisation à la peinture !
L’histoire était paru en France sous la forme d’un récit complet avec cette magnifique couverture qui m’avait subjugué à l’époque… et qui est par contre mensongère quant à la présence de la végétation dans ce comics !
L’histoire met en scène l’alliance plus ou moins forcée de Stephen Strange et Victor Von Doom pour un objectif plutôt altruiste : aller sauver, de l’enfer de Mephisto, l’âme de la défunte mère du dictateur de Latverie ! Bien que parfois un peu trop alourdi par les textes de Roger Stern, le récit est un classique incontournable pour tout fan de Doctor Doom car il montre parfaitement la complexité du personnage, son intelligence calculatrice et le jusqu’au-boutisme de sa misanthropie totalitaire.
Côté graphique, les planches livrées par Mignola et Badger mélangent ici des influences en apparence contraires.
D’une part, les lecteurs s’amuseront de voir que le dessinateur reprend les formes utilisées par Steve Ditko pour matérialiser les sorts lancés par les sorciers.
D’autre part, ils seront frappés par la beauté gothique de certaines scènes qui semblent invoquer la puissance de Bernie Wrightson, Gene Colan ou des artistes d’EC Comics.
Ce sont d’ailleurs dans ces quelques pages que l’on retrouve le plus l’ambiance que Mignola chérira plus tard dans Hellboy. Car curieusement, sa vision de l’enfer de Mephisto n’est pas des plus inspirées, se contenant de rochers, de lave et de quelques démons peu originaux même si bien designés.
Mais cet album possède cependant une force graphique assez unique car il semble se situer en parfait équilibre entre l’incroyable stylisation du réalisme dont est capable Mignola et sa capacité à pousser vers l’abstraction des formes.
En effet, les détracteurs du papa d’Hellboy peuvent parfois avoir l’impression que son style géométrique et simplifié est né d’une incapacité à dessiner « le réel ». Or, il suffit de voir ci-dessous comment il représente des décors variés avec une précision diabolique pour comprendre que l’homme sait dessiner « réaliste » mais que ce n’est pas forcément ce qui l’intéresse.
Ce récit nous rappelle aussi que Mignola n’est pas que l’artiste de l’horreur et du fantastique. S’il préfère dessiner les monstres et les éléments naturels et organiques, il n’en demeure pas moins capable de nous donner à voir de la technologie avancée crédible, souvent marquée, il est vrai, par la patte stylistique du grand Jack Kirby.
La planche suivante montre d’ailleurs comment son trait unifie à la perfection une jungle, un ancien village européen et une vaisseau high tech.
Je comprendrais donc aisément que certains fans de Mike Mignola préfèrent cette période de l’artiste. Bien que totalement en dehors des tendances graphiques de son époque, son style proposait alors une expérience visuelle assez unique, entre réalisme détaillé et début d’une simplification intelligente.
Mais en dépit de ces qualités évidentes, il lui manquait sans doute quelque chose pour se faire remarquer. Son découpage demeurait très sage, classique, et ses scènes d’action manquaient aussi de l’énergie cinétique balancée par d’autres dessinateurs de l’époque.
Le fait qu’il ait persisté dans la voie de la stylisation extrême était un choix incroyablement courageux qui allait lui permettre de se faire un nom mais qui la conduirait aussi à être poussé un peu en dehors des comics de super-héros…
Partie 4 – UNE ODYSSEE COSMIQUE ET UNE ENQUÊTE VICTORIENNE
Entre 1988 et 1989, Mike Mignola va signer chez DC Comics deux œuvres majeures, relevant d’un grand écart artistique incroyable mais traduisant aussi une transition annonciatrice d’Hellboy. En effet, s’il rend un vibrant hommage au génial Jack Kirby avec Cosmic Odyssey en se frottant notamment aux New Gods et à Darkseid, Mignola va ensuite basculer dans l’ère victorienne avec Batman : Gotham by gaslight pour un récit criminel tout en ombre et brume, impliquant Batman et un éventreur…
Space Odyssey !
Cosmic Odyssey est pour moi le paroxysme de Mignola dans le genre super-héroïque mais aussi son plafond de verre. Cette œuvre massive en 4 maxi-épisodes propose sans doute ce que l’artiste a fait de mieux, en la matière, chez DC Comics mais elle trahit aussi le décalage majeur qui se creuse à l’époque entre l’art et le style graphique de Mike Mignola et ceux des futurs stars des 90’s.
Pour situer un peu, à la même époque, les Uncanny X-Men régnaient en maître, notamment sous le trait dynamique de Marc Silvestri. Ce dernier était en train de faire entrer la série dans une nouvelle ère moderne qui allait ensuite atteindre des sommets en 1989 avec l’arrivée du jeune Jim Lee.
La révolution d’Image n’était donc qu’à quelques encablures et déjà un vent de renouveau graphique commençait à nous faire frissonner. Le choix de Mike Mignola pour illustrer ce « blockbuster » de DC pourrait donc paraître suicidaire, avec le recul, car même s’il était déjà bien connu, l’artiste n’était pas encore une star incontournable.
Pourtant, il suffit de feuilleter les premières pages de Cosmic Odyssey pour comprendre que Mignola est l’homme de la situation, notamment pour sa capacité à passer facilement des ruelles glauques de Gotham aux jardins idylliques de New Genesis.
Equilibre parfait entre détails et épure
Si Mike Mignola avait donné l’impression de devoir se cantonner à des récits brefs et avec peu de personnages, il prouve avec Cosmic Odyssey qu’il peut s’emparer d’un casting vaste, de décors complexes et livrer des pages riches tout au long du récit.
Dès la première page, le lecteur qui s’attend à de l’épure en prend plein les yeux niveau détails, avec une déferlante de « storm troopers » de Darkseid dans une rue crasseuse de Gotham. On ne peut alors qu’admirer la variété des designs des créatures et l’utilisation parfaite des motifs Kirbyens que Mignola inclut dans leurs tenues et accessoires.
Loin de se limiter au seul hommage, l’artiste rend immédiatement crédible et moderne ce commando hétéroclite et le met en scène dans une composition chaotique qui en traduit la sauvagerie. Gotham est aussi parfaitement caractérisée avec cette rue déserte, parsemée de détritus et d’immeubles décrépits.
Tout au long de la maxi-série, Mignola va réussir le tour de force d’équilibrer en permanence ses pages, entre cases fournies et cases épurées. Mais il ne s’agit pas juste d’alterner des scènes avec et sans décor.
La page ci-dessous est ainsi assez révélatrice de la façon dont Mignola va maintenir cette impression de richesse visuelle.
Un impressionnant travail de design
L’autre grande force de Cosmic Odyssey selon moi, réside dans le sens du design de Mike Mignola, notamment au niveau des décors.
Comme je le mentionnais plus haut, j’aime beaucoup la façon dont il va représenter Gotham et ses bas-fonds. Le récit lui permet de dépeindre plusieurs scènes en sous-sols et il dépeint habilement les égouts immondes et les cavernes aux mille stalagmites acérés.
Mais c’est dans les décors spatiaux qu’il se montre le plus virtuose. Les premières images de New Genesis posent immédiatement cet Eden high tech en y faisant cohabiter des statuts évoquant des civilisations antiques et des machines avancées, là encore inspirées par Kirby.
Ce sont dans ces explorations d’autres mondes que Mignola montre que son sens du design ne repose pas que sur une économie de traits mais aussi dans l’identification des éléments utiles à dépeindre telle ou telle localisation.
Dans la page ci-dessous, on voit comment, aidé par la colorisation de Steve Oliff, il offre aux lecteurs une compréhension immédiate des caractéristiques des 4 lieux dans lesquels les héros sont transportés par pair.
Quelques traits lui suffisent alors pour définir la végétation de Rann (la planète d’adoption d’Adam Strange) mais aussi pour montrer le côté plus « alien » de celle de Xanshi. Il conserve aussi pour Gotham cette impression de « ville décadente » en faisant voler dans les airs des papiers, comme étant de détritus emportés par le vent.
Enfin, je finirais sur ce sens du design en pointant la façon dont Mignola reprend les looks classiques des personnages mais parvient à ajouter quelques idées complémentaires pour en exagérer certaines caractéristiques.
La cape de Batman y est bien évidemment bien longue, le torse de Superman très large par rapport à ses jambes (avec un logo énorme accentuant encore plus son côté « protecteur ») et la chevelure de Starfire est d’une épaisseur sublime. J’ajouterai une mention spéciale à son Darkseid qui est très massif sans être trop grand, ce qui donne au personnage un côté « force indestructible » intéressant.
Un découpage plus dynamique que d’habitude
L’influence du King Kirby ne semble pas se trouver uniquement au niveau des designs. Mike Mignola livre ici, selon moi, les découpages les plus punchy et ses scènes d’action semblent enfin avoir de l’impact.
Plus à l’aise dans les corps-à-corps à grands coups de mandales que dans les combats à base de laser, Mignola rôde ici les futurs affrontements de son poulain de l’enfer. Les poings puissants envoient valser les adversaires dans le décor, les « Kirby Krackles » crépitent de partout et les scènes d’action sont habilement chorégraphiées.
L’artiste fait même preuve d’une brutalité qu’on ne lui connaissait pas forcément, notamment dans le dernier combat impliquant Batman et le personnage de Forager contre un agent de Darkseid. Alors que ce dernier se balade avec un trou béant dans le ventre, les deux alliés portent et encaissent des coups qui font mal, déployant une violence âpre sur plusieurs pages le temps d’un compte à rebours stressant.
Plus globalement, la maestria de Mike Mignola pour les compositions de cases équilibrées commencent à se sentir de plus en plus dans Cosmic Odyssey. Que ce soit dans des cadres larges façon « cinémascope » ou d’autres plus serrés et verticaux, Mignola commence à trouver presque systématiquement l’équilibre parfait entre la disposition de ses personnages et les zones qu’il laisse vides.
Il est assez incroyable de voir le nombres de cases qui bénéficient ainsi d’une structure qui fonctionne narrativement mais qui est aussi picturalement très esthétique… jusqu’à même se servir d’une répétition d’une de ces compositions pour faire une habile transition entre deux cases (cf page ci-dessus).
A noter enfin que le scénario de Jim Starlin donne à l’artiste plusieurs occasions de jouer sur la dilatation du temps dont il va se faire une spécialité plus tard. Mignola parvient ainsi à livrer deux, trois séquences dont il étire le suspense au maximum en densifiant son nombre de cases ou en multipliant les vignettes épiques lors d’une catastrophe planétaire.
Un récit culte mais visuellement moins réussi
Batman : Gotham by gaslight est un récit one-shot se situant au XIXème et mettant en scène Bruce Wayne et son alter-go lancés sur les traces d’un tueur faisant fortement penser à Jack l’éventreur.
Cette histoire fût éditée dans le cadre de la ligne « Elseworld » de DC Comics, une gamme regroupant des réinventions plus ou moins éloignées des personnages les plus connus, dans des contextes ou époques inattendus.
Rétrospectivement, ce comics semble être l’œuvre fondatrice de l’évolution de Mike Mignola vers l’ambiance fantastique d’Hellboy. Avec ses ombres marquées, son ambiance presque horrifique et son héros précurseur des justiciers « pulp », il est évident que certains ingrédients du futur succès de Mignola paraissent déjà présents.
Mais la ressemblance est plus à chercher du côté des séries Lord Baltimore ou Witchfinder que l’artiste créera par la suite, pour développer l’univers du démon rouge.
En une quarantaine de pages, Mignola mêle habilement l’iconographie de l’époque et l’imagerie habituelle du chevalier noir (sa silhouette capée, ses rondes nocturnes sur les toits, ses poses sur les gargouilles).
Se tenant à l’écart du fantastique pur, il donne à Batman un look plus proche de Zorro et ne cherche pas à l’iconiser à outrance ou même à coller à l’idée de super-héros. Sa cape fait d’ailleurs plus penser à un vaste manteau de détective et son masque trahit sa nature humaine.
Cette entreprise de crédibilisation historique du vigilante de Gotham est fortement appuyée par le souci qu’apporte Mignola aux décors et aux costumes. Des bals huppés où paradent des nobles apprêtés aux ruelles baignant dans la brume des bas-quartiers, tout sonne juste et confère au comics une ambiance assez unique dans le paysage de publications de cette début d’année 1989.
Pourtant, j’avoue que, passé l’émoi de la découverte et de l’originalité du contexte de l’histoire, je trouve que ces planches sont beaucoup moins puissantes que celles de Cosmic Odyssey.
Il y a, tout d’abord, l’encrage de P. Craig Russell. Indéniablement de qualité, je trouve qu’il n’apporte pas autant au dessin de Mignola que celui de Carlos Garzon sur la saga précédente.
Là où l’encreur de Cosmic Odyssey ajoutait de la force aux traits tout en respectant le design synthétique du style de Mignola, P. Craig Russell me parait juste coller aux crayonnés avec fidélité mais sans y apporter une plus-value suffisante.
C’est aussi à l’occasion de cet album que j’ai eu l’impression que Mignola abusait trop des représentations « à plat » de ses décors et visages.
Bien évidemment, il est complexe de créer ainsi l’illusion de profondeur sans utiliser de perspective marquée dans les décors.
Mignola a ainsi pour habitude de donner cette impression en disposant les personnages et les objets à différents niveaux mais en les rendant de plus en plus petits à mesure qu’on se rapproche du « fond de la case ».
C’est toujours très bien fait et il va peaufiner cette technique plus tard, notamment dans ses représentations de décors complexes.
Mais ce sentiment d’images très plates va être renforcé tout au long de la lecture par beaucoup de gros plans sur les visages de face ou l’utilisation de silhouettes noires dont seules les contours trahissent la posture des personnages.
Pourtant, Mignola va énormément utiliser ces techniques sur Hellboy alors pourquoi me gênent-elles ici ?
Peut-être à cause de la représentation stylisée mais réaliste des visages et décors, qui semble parfois peu compatible avec ce principe de compositions ?
Peut-être aussi parce que Mignola n’utilise pas encore abondamment ces aplats de noir pour structurer ses cases et leur donner, justement, un aspect plus graphique ?
Les scènes d’action – déjà brèves et rares – sont celles qui pâtissent le plus de cette approche, se retrouvant dépourvues de toute énergie.
Cosmic Odyssey et Batman : Gotham by gaslight sont donc deux œuvres incontournables pour tout amateur du style graphique de Mike Mignola. La première traduit l’amour de l’artiste pour Jack Kirby, dont il parvient à puiser un peu de la puissance légendaire pour livrer une aventure spatiale épique et bourrée d’action. La seconde est intéressante par les expérimentations avec les ombres et le gothique que Mignola semble réaliser et qui vont devenir partie intégrante de son univers graphique à venir…
Partie 5 – Deux adaptations de deux monstres !
Au début des années 90, l’art et le style de Mike Mignola font un virage stylistique de plus en plus marqué. En trois ans, il va débarrasser son dessin de nombreux vestiges de son académisme et de ses aspects les plus « comic book », pour se rapprocher d’une représentation picturale la plus dépouillée possible.
Après son passage par les rues brumeuses de Gotham, Mignola va continuer son expérimentation visuelle chez Marvel et dans un environnement plus sauvage. Dans « Wolverine : The Jungle Adventures », il illustre le scénario de Walter Simonson entraînant Logan sur des terres oubliées, où les dinosaures côtoient la technologie la plus avancée.
Bien qu’assez basique, cette histoire a pour mérite de nous montrer comment Mignola va s’éloigner de ses influences graphiques pour creuser son sillon.
Sous l’encrage pointu de Bob Wiacek, l’artiste va certes évoquer un peu de Frazetta (notamment pour la couverture) mais va surtout continuer à pousser la géométrie de ses formes vers une simplification de plus en plus perceptible. Ici, il abandonne la rondeur encore présente dans « Cosmic Odyssey » et opte pour des lignes plus rigides, des formes plus anguleuses et droites.
Cela se note tout particulièrement dans sa construction anatomique des personnages.
S’ils restent crédibles, ces corps se rigidifient avec des silhouettes découpées en bloc, qui annoncent la silhouette minimaliste et massive d’Hellboy. Mike Mignola continue cependant à travailler les muscles de façon traditionnelle pour un comic book. Toutefois, il s’appuie déjà sur des aplats de noirs importants pour donner du volume.
J’ai d’ailleurs l’impression que cette histoire met véritablement en scène « l’affrontement » entre son style du passé (une représentation stylisée mais réalistes des choses) et son style à venir (une épure des formes complétée par des aplats d’ombres).
En effet, dans plusieurs planches, les cases semblent répondre aux deux approches, donnant l’ascendant à l’une ou à l’autre. C’est notamment visible dans les pages mettant en scène l’affrontement entre Logan et Apocalypse.
Wolverine : The Jungle Adventures n’est pas une œuvre indispensable de Mignola. Mais c’est un comics fascinant pour cette transformation stylistique qui semble s’opérer au fil des cases sous nos yeux.
Vampire, vous avez dit Vampire ?
A une époque où il était encore courant de voir des adaptations en comics de films Hollywoodiens, celle du métrage de Francis Ford Coppola « Bram Stocker’s Dracula » (1992) fait cependant preuve d’une certaine ambition visuelle et narrative. En associant le légendaire Roy Thomas au scénario avec Mike Mignola, l’éditeur Topps Comics s’assure ainsi d’allier un expert en adaptation (Thomas est un auteur important des comics Conan) et un artiste fasciné par le fantastique gothique et les monstres classiques.
Mais malgré ce duo de choc, l’album qui en ressort est tout à la fois frustrant et fascinant.
Frustrant car la narration est clairement contrainte par le nombre de pages et la fidélité au script du film. Ainsi, certaines pages semblent enchaîner trop rapidement des scènes sans leur donner assez de place ou de souffle, quand d’autres prennent le temps de décomposer l’action.
Le storytelling de Mignola parait ainsi engoncé entre une reprise (obligatoire ?) de certaines images-clefs du film et un découpage dont le rythme est imposé par la masse de choses à raconter en si peu d’espace.
On peut certes admirer la façon dont l’artiste reproduit des effets de mise en scène ou de montage de Coppola comme ce « fondu enchainé » entre la plume du paon et le tunnel du train. Mais cette fidélité aux plans iconiques du long-métrage surgit sporadiquement et tranche trop souvent avec les cadrages que Mignola propose par ailleurs.
Evolution hâtive et statique
Il y a aussi un rapport aux mouvements et à la vitesse qui joue en défaveur du comics. Là encore, la transposition d’une œuvre cinématographique en bande-dessinée a ceci de casse-gueule qu’il faut un storytelling très proche du storyboard pour essayer de reproduire la dynamique créée sur grand écran par la caméra, les acteurs, les cascades, etc.
Bien qu’il parvienne à retranscrire quelques effets (comme les attaques en vue subjective du loup), Mike Mignola réussit davantage à sublimer l’imagerie gothique du récit qu’à lui insuffler une énergie graphique propre. Le film de Coppola n’étant déjà pas un modèle d’action, on a alors la sensation de parcourir un livre d’images belles mais froides et figées.
L’ensemble peut aussi donner l’impression d’avoir été exécuté avec une certaine hâte. Mignola semble osciller de façon moins cohérente qu’à l’avenir entre des planches aux détails ciselés et d’autres réduites à des silhouettes de personnages et des décors à peine esquissés. Est-ce le fruit des deadlines ou les premiers pas incertains vers une abstraction encore mal maîtrisée ? Difficile à dire à ce stade. Mais cela peut se voir notamment sur les visages lorsqu’il semble utiliser des références photos pour certaines cases et qu’il doit ensuite improviser la suite.
Noir de sang
En revanche, le comics a indéniablement plusieurs mérites par rapport à son modèle en pellicule. Tout d’abord, l’ambiance gothique de l’histoire est indéniablement bien servie par les aplats massifs de noir dont Mignola couvre ses planches.
L’artiste commence à recourir à ces ombres omniprésentes avec plusieurs logiques : parfois, ces aplats de noir résultent évidemment de l’éclairage de la scène. Mais parfois, ils ne servent qu’à créer un contraste avec les zones vides pour équilibrer la case. Ils sont alors des propositions purement graphiques qui guident l’œil, sans se soucier de la cohérence avec la lumière.
Même si j’aurais préféré que le talentueux coloriste Marc Chiarello utilise une palette moins vive et plus texturée (comme le fait Dave Stewart sur Hellboy, par exemple), il ne vient pas pour autant contredire l’ambiance générale insufflée par Mignola.
Et il est aussi plaisant de découvrir quelques pages illustrant des scènes abandonnées du métrage final. Je ne sais pas, en revanche, si elles étaient uniquement dans le script du film ou si elles n’ont pas survécu à la table de montage.
Bien que pas forcément utiles, elles sont inattendues et toujours agréables visuellement, comme cette séquence où Jonathan Harker voit le comte Dracula dans les ruelles de Londres et, le prenant en chasse, se retrouve face au vampire sous sa forme de chauve-souris géante.
Cette adaptation est donc un excellent terrain de jeu pour Mike Mignola. En mixant le réalisme de son matériel source et les possibilités graphiques de l’horreur du récit, il peut expérimenter et poser les bases de son futur style graphique.
Une approche qu’il va appliquer un an plus tard à un autre monstre du cinéma : l’Alien designé par Hans Ruedi GIGER.
Mon curé chez les Aliens
En 1993, Mike Mignola fait une incursion chez Dark Horse Comics pour illustrer une courte histoire d’une cinquantaine de pages, écrite par Dave Gibbons, le dessinateur d’une petite série appelée Watchmen. Aliens Absolution met en scène la survie d’un homme de Foi sur une planète en apparence paradisiaque, après le crash du vaisseau dans lequel il voyageait.
Entre réflexions théologiques intérieures et combats violents, le récit implique évidemment des Xénomorphes dans la lignée de ceux qui traquaient Ellen Ripley dans la séquelle militarisée et maternelle de James Cameron.
Bénéficiant de l’encrage précis et sûr de Kevin Nowlan, Mike Mignola livre, selon moi, une œuvre plus aboutie et cohérente que Dracula.
Son sens de la stylisation semble, en effet, atteindre ici une sorte d’équilibre parfait entre réalisme des traits des visages et interprétation simplifiée. Les yeux, bien que réduits souvent à des petits traits ou des zones d’ombres, contribuent parfaitement aux expressions faciales.
Ces dernières sont aussi pures que justes, portées par des bouches aux formes moins excessives que dans ses œuvres précédentes.
Mike Mignola rappelle aussi qu’il sait rendre les machines crédibles et compréhensibles. Mais il sait aussi les diversifier en tenant compte du contexte. Là où la technologie d’Apocalypse dans « Wolverine : The Jungle Adventures » paraissait avancée, il opte ici pour le parti pris des films et dessine des intérieurs de vaisseaux fonctionnels, industriels, loin des lignes épurées et futuristes du space opera.
Mignola se confronte de nouveau à la végétation luxuriante et sauvage mais son approche en est différente comparée à son comics de Marvel. N’hésitant pas à faire usage de ses masses de noir en respectant à minima les éclairages des scènes, il parvient à composer des paysages à la fois inquiétants et familiers.
Nature stylée
Il pose ici les bases de ses règles de stylisation de la nature : rochers fortement ombrés, buissons texturés de quelques traits, arbres en silhouettes à peine détaillés. Mignola ne donne ainsi aux lecteurs que les informations nécessaires à sa compréhension des lieux, privilégiant des contours crédibles des végétaux à des rendus ultraréalistes des matières.
Mais ce que j’ai trouvé fascinant visuellement dans cet album, c’est la façon dont l’artiste crée de pures séquences cauchemardesques, sans recourir aux artifices habituelles du style gothique (brume, cimetière, etc.).
Ne rechignant pas sur quelques effets gores, ses planches, flattées ici par la recolorisation de Matt Hollingsworth, dégagent en permanence une impression de décrépitude, de folie et de violence. Ce sentiment me parait renforcé par la propension de l’artiste à parfaitement ciseler les détails les plus pertinents pour ne pas surcharger la case mais lui donner le réalisme macabre nécessaire.
Monstrueuse beauté !
Mais c’est bien évidemment la représentation des Aliens qui réservera le plus de plaisir aux lecteurs. Mignola a admirablement compris la double force du design de Giger : les Aliens sont uniques et fascinants tant dans les détails techno-organiques de leurs corps que dans leurs silhouettes presque cadavériques, aux formes acérées.
Mike Mignola joue donc sur les deux tableaux dans ses compositions et passe rapidement de gros plans détaillés des créatures à des compositions misant sur leurs formes originales où des aplats de noir sont tout juste percés de quelques blancs laissant comprendre un élément de design.
Ce choix stylistique est d’autant plus pertinent qu’il rejoint ce qu’avait tenté de faire Ridley Scott dans le premier film : en dévoilant par petites touches son Alien, le réalisateur s’échinait à le garder toujours partiellement dans l’ombre, jouant notamment sur la confusion entre les détails de son corps et les formes du décor (parois, tuyaux, câbles, etc.).
Et Mignola d’enfoncer encore un peu plus le clou en livrant une de ses plus belles planches lorsqu’il dévoile la Reine Alien dans son antre, entourée de ses œufs mortelles et des corps des victimes en attente d’incubation.
De la composition circulaire autour de la créature en passant par l’incroyable travail sur les textures, Mike Mignola propose ici une vision immédiatement iconique de cette magnifique « bitch » (dixit Ripley) et une fusion parfaite de la science-fiction et de l’horreur.
En ce début des années 90, la deuxième mue de l’art et du style de Mike Mignola semble achevée. A travers deux célèbres objets cinématographiques, il trouve le juste équilibre entre l’épure de son trait, la science de sa composition tout en ombre et la traduction graphique des atmosphères d’épouvante qu’il aime travailler. Le chemin vers les premières pages d’Hellboy semble donc tout tracé… mais peut-être ferons-nous un petit détour la prochaine fois avant d’arriver dans les premières pages de « Red ».
Fin du Tome 1 sur l’art et le style de Mike Mignola. Prochainement : Hellboy !
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