Mariko Tamaki dans Question de Style S03E02 – 1re Partie
Question de Style revient, toujours sur une autrice et cette fois, on se concentre sur une scénariste pas forcément très connue, surtout en France et c’est bien dommage. Cet épisode a donc clairement pour but de vous la faire découvrir et de vous inciter à la découvrir car elle le mérite plus que tout ! Cette autrice, c’est Mariko Tamaki !
Elle écrit des romans graphiques (donc, hors formats traditionnels des comics). Peu ont été traduits en français. Néanmoins, depuis quelques années, elle écrit du comics mainstream.
Le premier travail qui m’a permis de la découvrir fût Supergirl : Being Super, une réinvention de Kara qui se concentre sur la découverte de ses pouvoirs à l’adolescence et comment elle assume son identité. Un travail déjà vieux de quatre ans et qui arrive prochainement en France.
La suite de son travail va l’emmener chez Marvel où elle va gérer le nouveau destin de Jennifer Walters, alias She-Hulk, après les événements de Civil War II. Puis, après le run de Tom Taylor, elle prendra en main le destin de Laura Kinney, la fille de Wolverine qui reprend son identité de X-23 accompagnée par sa sœur, Gabby. Elle va également faire un crochet du côté de Lara Croft pour douze épisodes.
Contrairement à Kelly Thompson, abordée dans le précédent numéro, elle ne s’oriente pas autant vers du commentaire social. Évidemment, elle écrit sur des personnages féminins quasi-exclusivement lors de ses travaux comics. Quelques exceptions masculines se glissent par-ci, par-là. Lors des mini-séries Hunt for Wolverine (HfW), elle écrit sur un groupe composé de Daken, Dents de sabre et Lady Deathstrike. Ce qui frappe, c’est qu’elle a la même sensibilité lors qu’elle écrit des hommes ou des femmes. Son travail est introspectif, dévoilant les faiblesses de chacun et chacune.
Forcément, ce qui est intéressant, c’est de comprendre par quelles techniques narratives elle met en œuvre cela et les thèmes qu’elle illustre.
Le manque comme point commun.
S’il y a bien un point commun dans l’ensemble des travaux de Mariko Tamaki chez Marvel ou DC Comics, c’est l’emphase sur le manque et la solitude qui peut arriver lorsqu’un être humain subit un événement traumatique. Ce type de moment se révèle régulièrement être un décès chez l’autrice mais pas exclusivement.
Pour parler d’un travail de commande qu’elle parvient à rendre personnel, HfW : Claws of a killer, les trois personnages sont tous marqués par l’absence de Wolverine. Leur obsession vengeresse de le retrouver montre surtout le manque d’amour reçu de son père chez Daken.
Cela s’exprime assez simplement par une emphase sur les regards et les corps épuisés. Les yeux et les muscles sont fatigués. J’ai tendance à penser que dans ses scripts, elle met l’accent sur ce genre de détails. Après tout, nos corps et nos visages sont des marqueurs très forts de notre état émotionnel. Les personnes ayant vécues le deuil ont souvent une mine abattue pendant les jours suivants le décès et conservent un regard hagard pendant quelques temps.
C’est quelque chose que l’autrice parvient à exprimer assez parfaitement dans ses travaux. Ce n’est pas son excellent travail sur la série Hulk centrée sur Jennifer Walters qui me fera dire le contraire.
Dotée d’une sensibilité totale, Mariko Tamaki passe par deux types d’outils. Tout d’abord, des dialogues où les personnages sont souvent hésitants, ensuite, des cases de pensée offrant une introspection complète dans l’esprit du personnage. De telles cases sont de moins en moins utilisées chez les auteurs, notamment pour nous faire rentrer dans les pensées et les doutes des personnages. J’en avais parlé pour Ed Brubaker qui en fait une grosse utilisation mais autant pour sonder l’âme que pour mettre en avant la noirceur du monde.
Ici, Mariko Tamaki se sert de ses cases de pensée de façon parcellaire. Elle n’hésite pas à les évacuer pendant plusieurs pages si les regards et le comportement du personnage principal suffisent. Pourtant, les instants où elles interviennent sont d’une importance capitale. Elles permettent de se rendre compte de l’évolution du personnage. Dans le cas de Jennifer, cela permet de mettre en avant sa douleur à la suite du décès de Bruce et son coma. Le double-trauma va se manifester par des crises de panique qui se traduiront ensuite dans sa transformation en Hulk. Mais on en reparlera ensuite.
Dans Supergirl : Being Super, le manque va se traduire de différentes manières pour Kara. D’abord, le manque de réels repères sur ses origines. Bien sûr, l’avancée de la mini-série lui permettra d’obtenir des réponses. Mais là encore, c’est le deuil qui va la faire évoluer. La perte d’un être cher va la confronter encore plus à l’absence de marques et de prises tangibles. À partir de là, comme toute personne en deuil, elle se sent seule et sa solitude se retrouve renforcée par son unicité.
Dans X-23, le manque se traduit autrement parce que Laura est un produit de laboratoire et cela lui cause une absence d’humanité. Elle se sent comme un outil, de la même façon que son père l’a toujours ressentie. La relation avec sa sœur reste son îlot, son point d’ancrage. L’insouciance de cette dernière lui permet de compenser quelque peu le besoin d’être un individu complet.
Là encore, c’est par les cases de pensée que cela passe mais aussi par le biais de dialogues lourds de sens. Leurs discussions montrent une déconnexion entre les sœurs. Si Laura ne se sent pas totalement humaine, Gabby n’en a cure et se concentre sur les aspects funs de la vie. Elle respire et se considère donc comme une personne à part entière. Les deux derniers arcs se chargeront de faire exploser cette divergence de point de vue, grâce à l’introduction de clones cyborg de Laura. Néanmoins, ce manque se traduit aussi via l’utilisation d’un effet miroir qui puise dans l’histoire d’autres personnages mutants : les sœurs Cuckoo. Ces dernières ont perdu deux sœurs sous l’égide de Grant Morrison et, dans le premier arc, les trois survivantes tendent de faire revenir celles qui leur manquent.
Au travers de cette thématique du manque, Mariko Tamaki semble illustrer que tout le monde cherche un point de départ dans la vie. Le moment qui nous définit vraiment. Le deuil et le vide qu’il créé semblent devenir le parfait moment pour se trouver et savoir qui on est. C’est à travers lui que les personnages grandissent, évoluent, apprennent et parviennent à s’accepter. Ce deuil et ce manque provoque un changement profond. Il interroge, questionne et bouleverse l’ensemble de notre vie. C’est donc la transfiguration que les épreuves de la vie peuvent nous faire vivre sur lesquelles elle met l’accent. Sans jamais plonger dans le désespoir, ses personnages se relèvent, plus forts à chaque fois.
Une métaphore de la vie, donc !
On se retrouve prochainement pour la 2e Partie !
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