Mariko Tamaki dans Question de Style S03E02 – 2e Partie
Nous nous étions laissés en évoquant le premier thème narratif déployé par Mariko Tamaki dans ses récits : le manque. Il est maintenant temps de s’attaquer au reste de son œuvre.
Les miroirs déformants.
L’autre aspect que Mariko Tamaki met en avant dans ses comics, c’est un rapport au monstre en soi et qui peut surgir à n’importe quel moment. Sur ce point, on pourrait lui trouver un lien assez évident avec Nick Spencer. En effet, il aime travailler sur cet autre, celui que l’on dissimule et que l’on a du mal à accepter. J’en parlais ici et là.
Forcément, cela se manifeste assez facilement lorsque l’autrice travaille sur Hulk. A la suite du décès de Bruce Banner, son cousin et de son coma, Jennifer Walters se réveille et elle doit vivre avec un stress post-traumatique. Ce dernier se traduit par une rage incontrôlée la transformant en Hulk. Elle n’est plus la même. Par ailleurs, ce changement mis en place par Mariko Tamaki continue à exister dans l’univers Marvel. Ainsi, Jason Aaron continue d’explorer (maladroitement) les états d’âme de cette Hulk.
Dans les récits de la scénariste, pour pouvoir accepter ce monstre, les héroïnes vont devoir en affronter un autre. Par là, l’autrice peut dresser des effets de miroirs intéressants pour faire évoluer et grandir son personnage principal.
C’est donc par l’affrontement avec un miroir déformant que l’héroïne va pouvoir grandir, évoluer et enfin s’accepter. Affronter ce double inversé permettra aussi de combler le manque. Puisque c’est par cet affrontement qu’il pourra y avoir le dépassement de ce manque et l’acceptation des pouvoirs. En allant plus loin, ce combat permettra à l’héroïne de pleinement s’accepter et s’affirmer. Ainsi, à chaque arc, l’autrice va parvenir à proposer un nouveau reflet pour l’héroïne lui permettant de se dépasser et de s’accepter. Dans le cas de Hulk, c’est très intéressant puisqu’en trois arcs, on sent qu’elle parvient à faire en sorte de sortir Jen de son état de déprime pour la faire accepter son monstre.
Ainsi, dans le premier arc de la série, elle va se confronter à une jeune femme qui a vécu un drame et s’est enfermée chez elle, effrayée par le monde extérieur. Elle dresse ici un parallèle pertinent entre deux façons d’aborder le deuil. D’un côté, le soutien de l’entourage. En effet, Jen a l’avantage d’avoir des amies sur qui elle peut compter. De l’autre, la solitude. Son adversaire n’a personne et il se repli sur lui-même et sur son monstre intérieur. Elle ne contrôle pas la rage qu’elle a en elle et s’est noyée dans sa dépression.
Sans jamais poser de jugement de valeur, Mariko Tamaki parvient à rendre totalement attachante cette adversaire. Surtout, elle fait cela avec une économie d’action. Ce qui l’intéresse, ce sont les interactions entre des personnes blessées et surtout, la manière dont leur monstre ne fait qu’exploser. Ainsi, ils peuvent montrer leurs blessures aux yeux et aux sus de tout le monde.
L’évolution du miroir
Pour le deuxième arc de la série, ce sera différent puisque Jen va devoir affronter une personne qui se transforme malgré elle. De la même façon que notre héroïne n’avait pas demandé à se transformer en Hulk, ici, cet individu se voit inoculer un virus et il perd le contrôle au fur et à mesure. Mariko Tamaki dresse ici un parallèle avec la situation vécue par l’héroïne, incontrôlable et surtout subie. Elle peine à se reconstruire et la violence parfois inconsidérée de Hulk le prouve.
Pour le dernier arc, elle va confronter son héroïne au Leader mais indirectement. En effet, ce dernier a pris sous son aile une jeune femme qui agit encore comme un miroir déformant. En manque de confiance, elle se retrouve pris dans une situation abusive. Cet arc de conclusion agit également comme une forme de miroir inversé au premier arc. Là où Jennifer Walters avait du mal à se relever, ici, elle a commencé à se redresser et si elle connait encore des difficultés, elle confirme qu’elle va mieux en affrontant le Leader.
Là où l’autrice parvient à se renouveler, c’est par son dernier travail sur X-23. En effet, le miroir déformant est toujours l’adversaire de l’arc mais pas uniquement. En effet, il est aussi incarné par les deux sœurs que sont Laura et Gabby. Ici, c’est par l’apport que l’une et l’autre s’offre que l’autrice construit son histoire.
Comme je le disais, Laura se considère comme une monstre alors que Gabby se considère comme humaine et tout à fait normale. Par les ennemis qu’elles vont affronter, chacune va évoluer et s’accepter avec ses manques. Comme pour Hulk, c’est un travail narratif qui se base sur des dialogues fins et subtiles ainsi que des cases de pensées. Ces dernières vont montrer les états d’âmes, les doutes et les faiblesses de Laura. Mais ce sont aussi les difficultés d’une grande sœur à guider sa petite sœur dans la vie alors que l’on se considère comme quelqu’un de partiellement mauvais. Comment lui apprendre ce qui est bon ou mauvais lorsque son compas moral parait brisé ?
La critique des abus.
La dernière pierre angulaire de l’œuvre de Mariko Tamaki, c’est la critique qu’elle dresse des situations abusives, provenant souvent de personnages masculins en position de pouvoir.
Que ce soit au travers du Leader, de Lex Luthor ou du créateur de Laura et Gabby, l’autrice explore les abus que les hommes de pouvoir mettent en œuvre sur des individus qui se trouvent souvent en situation de faiblesse ou de détresse. Les carences psychologiques, le manque de confiance en soi, ces éléments servent souvent pour permettre d’exploiter des failles.
C’est évidemment une astuce de narration classique qui permet facilement de mettre en exergue la fragilité du personnage. Mais c’est aussi un outil hyper stimulant. Les récits de super-héros et, de manière plus générale, les récits doivent faire en sorte que les personnages traversent des épreuves qui les rendront plus forts. Forcément, en mettant des personnages féminins en avant, cela se double d’une autre réflexion sur les abus subis par les femmes. L’actualité nous montre dorénavant quasiment tous les mois, voire toutes les semaines que des hommes en position de pouvoir, qu’il soit hiérarchique ou non abusent des femmes.
Mariko Tamaki donne donc une coloration féministe très forte à ses comics. C’est d’autant plus intéressant qu’en quelques pages à chaque fois, elle parvient à montrer des tranches et des parcours de vie assez complets.
L’un des personnages de l’autrice dit que « la vie est composée des hauts et des bas ». Cette phrase compile assez bien l’essence du style de Mariko Tamaki. Ses histoires de super-héros sont des chroniques de vie, écrite avec toute la sensibilité que ce genre de scénarios doit contenir. Par un traitement psychologique fin et subtil des différents personnages, l’autrice met en avant un aspect humain auquel tout le monde peut se raccrocher. En seulement trois comics sur trois héroïnes différentes qu’elle est parvenue à s’approprier, la scénariste a réussi à montrer qu’elle avait un œil neuf à proposer dans les comics. Une vision qui lui est propre avec une grande sensibilité.
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