Nick Spencer dans Question de Style S02E05 – Partie 1
ick Spencer est un auteur désormais bien établi dans le paysage du comics et cela grâce à une montée en puissance assez forte chez l’éditeur Marvel Comics. Pourtant, c’est un auteur assez récent qui commence son activité d’auteur en 2010.
Mais ses premiers travaux se font surtout en indé avec la série Morning Glories qui raconte l’histoire d’adolescents qui tentent de survivre dans une école qui torture et commet d’autres joyeusetés. On sent déjà tout l’amour de l’auteur pour la satire sociale, mélange entre comédie et discours politique (rappel : les comics sont politiques). Une série déjà très riche puisqu’elle compte une cinquantaine de numéros mais qui est aussi en pause depuis trois ans. A l’intérieur, on retrouve ce qui saute aux yeux le plus évidemment chez l’auteur, son sens du dialogue, de la punchline assassine et surtout, son affection pour les personnages poissards.
Ses premiers écrits chez Marvel ne sont pas forcément ceux où l’on se rend le mieux compte de son style. Pris dans l’event Fear Itself, il écrit l’équipe des Secret Avengers, déjà formée préalablement par Ed Brubaker et dont il ne change pas le roster. Pourtant, le volet politique qu’il va mettre en œuvre à d’autres reprises dans certains de ses comics pointe ici. Le style de Nick Spencer est à la jonction entre deux genres que l’on penserait antinomiques : la comédie (souvent noire) et l’analyse politique. Sa dernière création avec Steve Lieber (Bomask, c’est pour toi <3), The Fix vise d’ailleurs à fusionner ensemble les deux genres qu’il a peu souvent mélangé pour aboutir à une satire bien plus sévère que ne l’est Morning Glories.
Du coup, on va se demander comment Nick Spencer construit au fur et à mesure son style, en le faisant évoluer et comment il arrive à le synthétiser dans The Fix.
Le Tarantino du comics.
La première chose qui saute aux yeux en lisant un comics de Nick Spencer, c’est la tonne de dialogues qui inondent la page. Je le disais déjà dans mon QdS sur Brian M. Bendis mais Nick Spencer a un style qui met l’emphase sur les dialogues. Comme lui, ses pages sont garnies de dialogues à chaque case et les personnages n’ont de cesse de discuter entre eux.
Mais, contrairement à Bendis qui se sert de cela pour tenter d’instaurer du réel dans les situations, Nick Spencer cherche surtout à placer le bon mot au bon endroit et donc à balancer de la punchline. Si cela se ressent très rapidement dans Morning Glories, je trouve que c’est surtout dans Superior Foes of Spider-Man (avec Steve Lieber) que cela prend l’ascendant. Chez l’auteur, les personnages sont tous des beaux-parleurs, des bonimenteurs qui aiment, par leur aisance orale faire croire qu’ils ont une maîtrise totale des situations dans lesquelles ils vont s’embourber. Boomerang, le chef de cette équipe est un looser comme on en voit rarement dans les œuvres culturelles. Le personnage représente tout ce que Nick Spencer sait faire. Tour à tour ingénieux, roublard, pénible, il montre un versant de Marvel que seul l’auteur sait exploiter : celui des bras-cassés et des (supposés) incapables. Bref, ce que Quentin Tarantino fait souvent dans ses films.
Mais avant d’aller plus loin, il faut aussi parler d’un personnage que Nick Spencer aime triturer dans tous les sens : le Maître des Corvées (ou Taskmaster). A titre tout à fait personnel, je ne connaissais que peu le personnage mais par son costume et son nom, j’ai toujours eu tendance à le considérer comme un nullos. Apparemment, Nick Spencer aussi. Il apparait dans pratiquement toutes ses séries et à chaque fois, il le montre comme quelqu’un de ridicule mais de profondément capable. Malgré son caractère blagueur et souvent désinvolte, il accomplit toujours ses missions, en bon maître des corvées. Ce personnage réunit tout ce que l’auteur construit : humour burlesque et individu qui masque sa vraie nature.
L’aspect purement comique se ressent à différents degrés dans ses histoires et est utilisé de manière différenciée selon les personnages. En effet, là où les ennemis supérieurs de Spider-Man sont attachants, c’est dans leur nullité, leur excès de poisse qui fait qu’ils se plantent quasi-systématiquement. Boomerang restant l’exception à la règle puisqu’on se rend rapidement compte qu’il manipule tout le monde et est quelqu’un de très capable. Pourtant, dans Ant-Man, c’est l’humanité qui ressort de Scott qui est le moteur de l’intrigue, ainsi que le démontre très facilement la fin du premier numéro. Là encore, son Scott Lang est un mec à qui la chance a décidé de tourner le dos et qui doit faire contre mauvaise fortune, bon cœur. Comme de nombreux personnages à la masse, il a tout de même un attachement fort pour quelqu’un d’autre, en l’occurrence, sa fille, Cassie. Cette dimension humaine où les relations entre individus sont importantes et centrales dans la vie des losers magnifiques est finalement assez rare dans l’œuvre de l’auteur. Son Ant-Man, plus que l’histoire d’un poissard est surtout l’histoire d’un type qui tente de se réconcilier avec une fille qu’il n’a que trop peu vu grandir. Mais contrairement à Superior Foes, les personnages sont plus humains et plus immédiatement attachables.
Mais s’il est facile de comparer l’auteur à Quentin Tarantino, cela va bien plus loin que cette simple comparaison car il rend en fait hommage à de nombreux autres réalisateurs et scénaristes. A titre tout à fait personnel, il me fait autant penser à Guy Ritchie pour certains de ses exercices de styles dans Superior Foes qu’à Shane Black pour ses satires parfois corsées et ses explications de certains éléments du scénario par les personnages eux-mêmes. Je suis certain que l’on peut aussi trouver de nombreux autres références dans son travail, notamment dans les comédies noires de Billy Wylder, avec qui il partage un amour du corrosif et de la dénonciation, mais n’en étant pas expert, je ne vais pas m’aventurer sur ce terrain.
Roi du twist et analyse de l’autre.
Mais réduire Nick Spencer à la comédie est bien trop facile et simple. Chacun et chacune voit très facilement son amour pour les poissard et son amour du pathétique. Ce qui apparait comme le cœur même du style Nick Spencer, c’est autre chose, quelque chose d’évident aussi mais auquel il est peut-être difficile de donner du sens. En effet, ses comédies sont aussi agrémentées d’un nombre incroyable de twists qui incarne un autre aspect de l’auteur : la tromperie et la notion du double.
Comme dans toute bonne histoire avec des criminels et des escrocs, chacun y va de ses coups en douce pour damner le pion à l’autre. Superior Foes en est une incarnation parfaite là encore, mais son Ant-Man avec Scott Lang n’est pas à jeter. Chacun ira de son petit coup par derrière pour tenter de remporter le pactole et surtout pour piéger notre pauvre homme-fourmi qui tente de se racheter une conduite et de vivre décemment.
Surtout, les twists sont souvent marquants chez Nick Spencer, suffisamment pour donner envie de relire certains numéros. Schématiquement, ce sont surtout les numéros du premier arc qui donnent le ton à ce titre. En effet, l’auteur pose souvent un twist dès ses premiers numéros qui donne à revoir ce que l’on vient de lire. De The Fix où l’on se rend compte que les personnages sont des flics au bout de dix pages à Amazing Spider-Man où l’on découvre à qui Peter était en train de parler en passant par Ant-Man, l’auteur sait parfaitement gérer ses twists, donnant envie de relire des pans entiers de son histoire pour pleinement les comprendre. Surtout, ces twists en fin de numéro ont l’intelligence de montrer la direction que va donner Nick Spencer à son histoire.
Dans l’ensemble de ses séries, l’auteur juxtapose à cet ensemble de twists, une analyse sur l’autre qui donne à voir un autre aspect de ses losers. Pour le dire simplement, Nick Spencer part du principe que chacun de nous a en lui, deux individus qui tentent d’exister de manière soit concurrente, soit symbiotique et de nombreux entre-deux. Là où cela s’exprime le plus simplement, c’est dans son Amazing Spider-Man mais par souci d’éviter le spoil, je n’en parlerai pas. Sachez seulement que Nick Spencer utilise intelligemment la double-identité du tisseur.
Dans ses autres séries, cela se manifeste aussi. Dans Superior, chacun des personnages a une autre facette de lui-même qu’il tend à cacher à ses partenaires, comme Beetle, par exemple. Mais comme je le disais, Boomerang laisse voir le loser, ce qui lui bénéficie puisque personne ne se méfie de lui. Néanmoins, il est redoutable et cache bien son jeu, ce que l’on devine très rapidement grâce à la narration. En effet, c’est dans la narration pas les pensées des personnages que se dévoile le véritable moi de ses héros. C’est dans ce rapport à l’autre que Nick Spencer se pose dans ses premiers temps avant d’évoluer, notamment avec Ant-Man. En effet, Scott tente de faire table rasé du passé et de son autre qui était un criminel et un raté, les deux formant pour lui une seule et même personne. Nick Spencer montre à chaque fois comment cette dualité agit sur les comportements des uns et des autres et comment cet autre moi peut devenir un poids si on ne l’accepte pas. Les personnages de Nick Spencer agissent souvent de manière exagérée, fausse pour tenter de camoufler un mal-être intérieur, tendant souvent à un rejet de leur vrai moi.
Le discours se renouvelle quand il prend en charge Captain America qui, à ce moment-là est Sam Wilson. Mais ça, ce sera pour la seconde partie qui arrive prochainement !
Pour la deuxième partie, c’est là
Vous pouvez également retrouver ce QdS complet à l’audio :
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