Sous le masque : Batman Trois Jokers – De la révélation à l’oubli
Sous le Masque : une rubrique qui propose d’aller voir sous le masque des personnages de comics et d’en explorer les énigmes et les mystères par l’éclairage subversif et original de la psychanalyse !
Il y a peu, une chose étrange est arrivée au plus grand détective du monde. Batman a été frappé d’une forme d’amnésie. Trouvant enfin la réponse à une question cruciale, l’identité du Joker lui-même, il est alors, dans le récit Trois Jokers plongé dans une apparente amnésie. Plus de trace de cette révélation dans le récit censé exploiter cette révélation. Mais alors, qu’est-il arrivé au Chevalier Noir ? Et qu’est-ce que cela nous apprend sur le savoir, la connaissance et l’oubli ?
Qu’est-il arrivé en effet au Chevalier Noir ? A la fin de Darkseid War, en 2016, Batman prend possession de la chaise de Mobius. Parmi les nombreuses capacités qu’offre ce fauteuil appartenant au néo-dieu Metron, celle qui intéresse Batman à cette occasion n’est rien de moins que l’omniscience. Batman prenant place dans cette chaise cosmique pose ainsi une première question : Qui est l’assassin de mes parents ? La chaise de Mobius répond correctement et donne le nom de Joe Chill. Cette réponse permet au Détective de vérifier que la chaise fournit la bonne réponse aux questions posées, c’est la phase de test.
Vient alors l’heure de vérité. La seconde question que Batman pose ensuite est d’une importance capitale. Il pose à la chaise de Mobius la question suivante demeurée irrésolue depuis ses débuts : « Qui est le Joker ? ». La réponse étonne alors le plus grand détective du monde lui-même. Nous apprendrons plus tard que la réponse de la chaise offrant la connaissance est une réponse impensable. La réponse à « Qui est le Joker » est : « Il y en a trois ». Et c’est alors le début d’une attente concernant le développement à venir de cette réponse et de ses conséquences.
Trois Jokers : la révélation puis l’oubli
Cette réponse jette ainsi un pavé dans la mare. Le Joker ne serait pas un mais trois individus. Une seule identité du clown psychotique pour trois personnes se cachant derrière le masque.
Nous sommes en 2020. La série Three Jokers débute aux USA. Elle promet d’approfondir cette question laissée en suspens en allant creuser cette affaire de triple identité. Un élément majeur heurte cependant le lecteur qui suit l’enquête : Batman a oublié la révélation de la chaise de Mobius !
En effet, dans ce récit, Batman agit dans une amnésie complète de cette révélation, ses coéquipiers menant avec lui l’enquête lui révèlent ce subterfuge en croisant une donnée toute simple : le Joker a été aperçu à deux endroits à la fois. Voilà le point de départ de l’enquête de Red Hood, le deuxième Robin et Batgirl, les deux membres de la Bat-family ayant été meurtris dans leur chair par le Joker.
Qu’est-il arrivé au Chevalier Noir ? Comment Batman a-t-il acquis la connaissance avant de la perdre au moment de résoudre l’énigme ? Bien sûr, pour l’heure aucune explication n’est fournie par le scénariste. Toutefois, Geoff Johns confirme que le récit des Trois Jokers est dans la continuité. Il s’imbrique à la suite du récit de Darkseid War, où Batman découvre l’existence des trois Joker. Il n’y a donc pas la possibilité de placer ce récit dans un univers parallèle. C’est bel et bien le même Batman !
Qu’est-ce que cette affaire et ses ombres peuvent alors dire du psychisme batmanien et du fonctionnement psychique ? Comment mémoire et oubli coexistent-ils ainsi ?
Chaise ou divan ? Le savoir et le refoulement
Nous pouvons avancer que l’épisode de la chaise de Mobius fonctionne ici pour Batman comme le divan d’un psychanalyste. Sur cette chaise/divan, Batman accède à une connaissance, comme un patient accède à une connaissance qui provient de son Inconscient, en levant les mécanismes de défense. Voici un moyen d’accéder à une forme d’omniscience, lever le refoulement qui cache les secrets de l’esprit
Mais alors, en quoi cette réponse aurait-elle fait partie d’une mémoire oubliée, d’un savoir refoulé ?
A priori, Batman ne savait pas qu’il existait trois Joker avant de poser la question. Eh bien, c’est ainsi qu’agit l’Inconscient, c’est un savoir que l’on sait sans savoir. L’Inconscient n’est pas un iceberg immergé de la conscience, c’est un super ordinateur toujours à l’œuvre, qui calcule plus rapidement que la pensée elle-même. Il fournit en l’occurrence les intuitions à la pensée et contient, à notre insu un savoir prêt à émerger !
Que cela soit dans nos rêves ou sur le divan d’un psychanalyste.
La Chaise de Mobius porte ainsi parfaitement bien son nom. Pour rappel, une bande de Möbius est une bande dont une extrémité est reliée à son envers. Ainsi, en la parcourant, on passe de son endroit à son envers du fait même de cette torsion. Si l’on se représente le Conscient et l’Inconscient sur cette bande de Möbius, nous voyons que les deux sont reliés et que nous passons de l’un à l’autre, que notre Inconscient dirige autant nos pensées conscientes et nos actions que notre raisonnement conscient. Il y existe seulement un endroit et un envers, lesquels se rejoignent sans que nous nous en apercevions.
L’Inconscient agit en fait comme un programme qui tourne tout seul en cache, à notre insu et qui a des effets sur le programme conscient que l’on ouvre, c’est-à-dire dans nos actions, nos paroles, nos pensées, nos réflexions et, même en état de veille, dans nos rêves.
Batman : l’insu que sait est-il un insuccès ?
Qu’est-il donc arrivé au Chevalier Noir ? Nous pouvons ainsi tirer comme enseignement de cette situation qu’une partie de ce que nous savons nous échappe.
N’est-ce pas ce qu’il se passe lorsque les rêves, qui sont la voie royale d’accès à l’Inconscient, s’évanouissent dès le réveil ou dès que l’on tente de mettre le doigt sur un détail ? Ce que nous avons vécu, perçu dans le rêve échappe alors, retournant dans les limbes de l’esprit. Ici, Batman sur la chaise de Mobius a accédé à un savoir sans chercher, sans mener d’enquête, il a demandé et il lui a été répondu.
Si nous nous plaçons sur le plan psychique, nous pouvons alors penser que la chaise de Mobius ne révèle que ce que celui qui y siège sait déjà. La première question, sur l’identité meurtrier de ses parents, Batman en connaît la réponse. Sur la seconde question, après ce que nous découvrons dans la série Trois Jokers, c’est-à-dire qu’une simple coïncidence révèle la vérité sur l’identité multiple du Joker, ne pouvons-nous pas imaginer qu’en fait, le plus grand détective du monde connaît au fond de lui la réponse ? Qu’il l’a presque toujours su, et que la chaise, comme un divan avec un psychanalyste, ne fait que lui révéler un secret qu’il connaît déjà mais qu’il avait occulté, refoulé, nié.
Alors voici Batman face à son insuccès, un savoir qu’il possède au fond de lui à son insu. Qui lui est révélé par un procédé extérieur, dévoilant cette réponse de façon soudaine, avant de refermer ce secret dans l’Inconscient de l’homme chauve-souris. Lui qui s’est fait un spécialiste des enquêtes, voici que ce mystère sur l’identité du Joker lui aurait échappé pendant tout ce temps. Par un procédé magique, le voici révélé avant d’être oublié puis par inadvertance remis au-devant de la scène.
Mais cela ne signifie-t-il pas aussi que ce que nous cherchons, une part de nous le sait déjà ? Que ce que nous recherchons comme réponses, nous sommes en mesure parfois de diriger nos actions intuitivement, implicitement, inconsciemment, pour trouver ce que nous savons déjà au fond de nous. C’est le cas de certaines découvertes scientifiques où les scientifiques eux-mêmes, chantres de la rationalité, peuvent expliquer qu’ils ont suivi une intuition, ou un accident, c’est-à-dire un évènement parfois provoqué comme un acte manqué.
Savoir, science, et intuition : les trois jokers
Enfant, Einstein rêvait éveillé, et utilisait son imagination en se prenant pour un photon. Il serait alors parvenu à ressentir l’espace-temps, concept qu’il mit des années ensuite à démontrer scientifiquement. Celui-ci expliquera à un ami dans une lettre que l’intuition était la seule voie menant aux idées et aux découvertes.
« Un bond se produit dans la conscience et la solution vient à vous, et vous ne savez ni comment ni pourquoi » dira-t-il.
Ainsi, chacun possède une chaise de Mobius à disposition. En 1994 une enquête auprès d’un panel de chercheurs lauréats de prix Nobel en physique, chimie et médecine qu’une immense majorité se fie à leur intuition dans leur travail.
Henri Poincaré, célèbre mathématicien et physicien français, affirmera : « C’est avec la logique que nous prouvons et avec l’intuition que nous trouvons ».
L’intuition, ou la pensée inconsciente, fonctionne ainsi comme un savoir avant le savoir. Lorsque Batman pose la question à la chaise de Mobius, nous pouvons ainsi penser qu’il pose la question en suivant son intuition, à son Inconscient, et que celui-ci lui répond, lui livre la réponse telle quelle.
Dans le récit Three Jokers, il s’agit de prouver que cette affirmation est vraie. Ainsi, c’est le Batman rationnel qui prend le relais. On peut penser qu’il a oublié ce que son intuition lui a dicté. Nous pouvons aussi penser que, tel un scientifique, c’est sa part inconsciente qui le guide, afin que son raisonnement logique et sa démarche rationnelle ait démontré ce qu’il savait déjà.
Mais le démontrant, c’est une façon de pouvoir ensuite rendre publique cette information, de la partager, d’en tirer les conséquences qui s’imposent. C’est ensuite la responsabilité éthique de chacun qui s’engagera dans cette découverte, selon l’usage qu’il fait de cette dernière. A moins de donner son Joker. Et d’oublier à nouveau, de refouler cette information, si des bénéfices inconscients venaient à apparaître. Une forme de complicité inconsciente avec son ennemi, afin de continuer à se chercher l’un l’autre, et à danser encore avec le diable et les ombres en chacun.
L’énigme de la révélation oubliée, si l’on dépasse la polémique de la continuité des récits et de l’habileté du scénariste, trouve ainsi un éclairage nouveau par ce que nous connaissons du fonctionnement psychique et de l’Inconscient. Ceux-ci ne fonctionnent d’ailleurs pas eux-mêmes en continuité mais par bonds, voies parallèles, recoupements. Nous sommes des elseworlds à nous-mêmes ! Dire que le Batman sur la chaise de Mobius n’est pas le Batman de Three Jokers parce qu’il a oublié entre-temps une révélation revient à dire que l’individu, nous-même y compris, serait fait d’un bloc. Or, nous savons que chaque personne est multiple, organisée par tout un réseau souterrain de connexions complexes. Et que nos personnages de comics n’en sont que le reflet augmenté !
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