Les comics, faut-il vraiment tout lire pour comprendre ? – Idée reçue n°2
ors de la lecture des comics, comme pour tout autre art, on doit faire face à des références. Mais que sont ces fameuses références ? Un background, de la culture générale, des compétences ?
Il m’arrive régulièrement d’entendre ou de lire des remarques telles que “puis-je tout de même le lire si je n’ai pas lu le premier tome ?” ou encore “faut-il avoir lu telle période pour comprendre cette histoire ?”. Cela peut sembler très vague mais, au final, est-ce que toutes ces œuvres sont liées entre elles ?
Les relations entre séries
Lorsque l’on parle de super-héros, on parle souvent d’un univers partagé. Les Big Two que sont DC Comics et Marvel en sont le parfait exemple. Leurs personnages partagent le même univers et peuvent apparaître dans toutes les séries d’un éditeur. En croyant lire les aventures d’un héros à cape rouge, vous voyez débarquer un héros à masque vert dont vous ne savez rien.
Le phénomène existe également chez les éditeurs indépendants. L’univers de Black Hammer de Jeff Lemire ou celui d’Invincible, tous deux publiés par Image Comics, en sont de parfaits exemples. L’éditeur Valiant fonctionne pour sa part à la façon de Marvel et DC Comics avec un univers partagé peuplé de super-héros.
Il est évident qu’en mettant en place un univers partagé, l’éditeur doit faire exister des liens entre les différentes séries qui y prennent part. Il devient alors inévitable que la lecture d’une série comme Justice League fasse écho aux différentes séries solo des personnages qui composent l’équipe. Pour autant, il ne faut pas oublier que chez DC Comics et Marvel, il existe des séries qui ne demandent aucune connaissance lors de leur lecture. Je vais y revenir après.
Faut-il donc tout lire pour tout comprendre ? Loin de là !
Toute histoire doit savoir se subvenir à elle-même. C’est notamment un facteur important pour un éditeur s’il ne souhaite pas perdre ses lecteurs. Toujours dans l’exemple de la Justice League, il est impossible de demander aux lecteurs d’investir dans chacune des séries solo de ses sept membres pour comprendre leurs aventures communes. A la fois pour des raisons économiques évidentes, mais également dans un souci de goût du lectorat.
En effet, demander à un lecteur qui déteste Superman et Green Lantern d’investir dans ces deux personnages juste pour suivre une série d’équipe, c’est prendre le risque de le perdre une fois pour toutes. Il est donc vital pour un éditeur qu’une histoire puisse se suffire à elle-même lors de la lecture, et ce, malgré les possibles références aux autres séries qui existent.
Valiant est un exemple dans sa gestion d’univers partagé. Chaque série tisse des liens avec d’autres héros ou séries de l’éditeur sans que cela ne gêne la lecture. Au pire, vous découvrez un nouveau héros qui ne vous intéresse pas sans que cela n’handicape votre lecture. Au mieux, vous plongez dans une nouvelle série.
Les events & crossovers
Une autre problématique de la logique d’univers partagé est la production des events et des crossovers. Ces histoires vont faire intervenir beaucoup de personnages et les intrigues entamées dans un titre peuvent trouver une conclusion dans un autre récit.
C’est notamment le cas dernièrement avec The Button chez DC Comics. Cette mini-série a été publiée de manière croisée dans les pages des séries Batman et Flash avec deux épisodes dans chacune des séries. Pourtant, avec le statut de mini-série, l’histoire devait également se suffire à elle-même. Ainsi le lecteur d’un seul de ces personnages, même s’il devait acheter deux épisodes supplémentaire pour suivre ce récit, n’avait besoin d’aucune connaissance supplémentaire pour comprendre ce récit.
Par conséquent, un lecteur exclusif de Batman pouvait s’en sortir sans avoir à acheter les 20 numéros manquants de Flash, et inversement.
Dans le cas des events, ce qui peut poser problème aux lecteurs vient plutôt des conséquences de ce récit. Un event est un événement éditorial dont la résolution modifie le statu-quo des personnages. La mort de Bruce “Batman” Wayne, la perte de son marteau par Thor ou le retour de personnages qu’on croyait perdus en sont quelques exemples.
En effet, les nouvelles séries qui peuvent émerger d’un event vont souvent y faire référence et c’est ici une plus grosse difficulté pour un lectorat non-initié.
On rentre donc dans une problématique, plus générale à tous types de lecteurs : comprendre une histoire quand on n’a pas les références nécessaires. Mais est-ce vraiment un problème ?
Pour une série indépendante, il est évident que la lecture des premiers tomes se révèle souvent indispensable, mais il existe parfois d’autres portes d’entrée. C’est le cas de Spawn ou Hellboy par exemple qui proposent différentes séries permettant de se lancer dans cet univers. Pour une série super-héroïque seule, on a rarement besoin d’avoir lu tous les récits précédents. Devoir lire 80 ans d’histoires de Superman juste pour lire Superman Rebirth serait une idée suicidaire pour l’éditeur.
Alors voilà, on va me sortir l’exemple du Batman de Grant Morrison qui est très complexe à appréhender justement à cause des références présentes dans l’œuvre. Malgré tout, une première lecture de l’œuvre reste tout à fait possible sans avoir ces fameuses références passées et ces dernières ne vont apporter qu’un second niveau de lecture.
On peut donc affirmer que la lecture des récits de Grant Morrison sur le Chevalier Noir reste malgré tout possible, et cela peu importe les connaissances du lecteur. Ce qui va varier, c’est la facilité de ce dernier à comprendre toutes les subtilités mises en place par l’auteur écossais.
Il faut savoir se lancer
A une époque où les rééditions s’enchaînent sous toutes les formes par certains éditeurs, il est très facile de rattraper son retard et trouver les pièces manquantes qui permettront de combler nos lacunes. Mais a-t-on vraiment besoin de compléter le puzzle pour comprendre ? Saviez-vous qu’il y a encore 20 ans, un nouveau lecteur de comics achetait son Strange chez un marchand de journaux, tombait en plein milieu d’une histoire et devait se débrouiller pour tout comprendre de lui-même. Et bien figurez-vous qu’il y arrivait !
Ainsi, n’est-ce pas l’exemple parfait que les références ne sont pas forcément nécessaires au plaisir lors de la lecture. Elles peuvent influer pour autant évidemment. Un récit rempli de références aux années 80 sera plus susceptible d’être apprécié par un lecteur ayant connu cette période que par un adolescent actuel.
Ce qu’on appelle “la continuité” est une part importante de la narration des comics. Ces séries sont feuilletonnantes et les personnages survivent aux années, aux modes et aux auteurs. Il est aujourd’hui impossible d’avoir lu la totalité des épisodes mettant en scène les super-héros les plus connus. Si vous l’avez pourtant fait, il faut consulter. Un récit feuilletonnant, découpé en épisodes développe son histoire au fil du temps. Son modèle le plus proche est celui de la série télé.
Prenez une série feuilletonnante type Game Of Thrones, Lost, Breaking Bad… ou autres et commencez le visionnage par le cinquième épisode de n’importe quelle saison. Il vous manque des éléments ? Dans les comics, c’est pareil. Pourtant, si vous continuez à regarder la suite de la série, vous devriez pouvoir comprendre par vous même les enjeux, les personnages et une partie des faits qui les ont conduit ici. Dans les comics, c’est pareil.
Si j’affirme que tout récit doit se suffire à lui-même, pourquoi se demander si toutes les histoires sont liées ? A mes yeux, chaque histoire est toujours une référence à une autre. Si on revient sur les œuvres indépendantes de la continuité DC Comics et Marvel, ne font-elles pas appel à l’Histoire du personnage ?
Prenons un exemple récent avec le Batman White Knight de Sean Murphy, initialement annoncé comme hors de toute continuité. Cette histoire utilise les personnages de Harley Quinn, du Joker, de Batman, du commissaire Gordon… Ne fait-elle pas directement appel aux références du lecteur ? L’auteur Sean Murphy nous demande de connaître certaines bases, un peu d’Histoire des comics afin de mieux apprécier son travail.
Ainsi, chaque œuvre présente un lien direct avec l’Histoire des comics voire l’Histoire tout court. Une construction de page en gaufrier (3 cases en vertical par 3 cases en horizontal) fait aujourd’hui souvent hommage à Watchmen alors que, lors de sa publication, Watchmen faisait lui-même référence à d’autres œuvres et n’a pas été le premier à utiliser cette construction.
Et cela peut aller encore plus loin avec la création de personnages. Le super-héros Damage chez DC Comics est directement inspiré de Hulk, mais ce dernier, créé par Stan Lee et Jack Kirby, a été inspiré d’un tableau de la renaissance. Or, il reste indéniable qu’une personne consciente ou non de la “copie” du géant vert puisse apprécier ce nouveau super-héros.
Au final, chaque œuvre se construit autour des références de l’auteur, mais s’adapte indirectement aux références du lecteur. Il ne faut pas se freiner dans nos lectures simplement parce ce qu’il nous manque parfois des éléments. Chercher à combler le vide comme se jeter à l’eau la tête la première sont deux expériences qui mèneront à des résultats différents. Pour autant, chaque expérience doit rester propre au lecteur et avec toujours le même but de prendre du plaisir lors de la lecture.
Pour conclure, oui toutes les œuvres sont liées mais est-il forcément nécessaire de tout connaitre pour apprécier une œuvre ? A mes yeux, non. Et on a même le droit de ne pas saisir toutes les références. C’est dingue, non ?
Les références joueront sur nos appréciations de l’œuvre mais n’enlèvent en rien le plaisir ressenti (ou non) lors de la lecture.
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