404 Comics – Interview de Nicolas Beaujouan, responsable éditorial !
Nouvel acteur sur le marché, 404 Comics se lance le 1er avril 2021 avec deux titres. Dunce, tout d’abord puis Big Girls. Deux comics que nous aurons le plaisir de chroniquer très bientôt. Le lancement d’un éditeur est toujours un évènement important, voici donc notre interview du responsable éditorial de 404 Comics, Nicolas Beaujouan !
Première question : d’où vient le nom 404 Comics ? On a des hypothèses dans l’équipe mais on aimerait une confirmation.
Nicolas Beaujouan : 404 Comics a pour maison mère 404 éditions qui a déjà quelques années d’existence. C’est une maison dédiée à la culture geek, nerd & pop. Donc oui, il s’agit bien de cette légendaire erreur de navigation, mais je ne crois pas que cette erreur existe encore, si ?
Avec des titres de lancement comme Big Girls et Dunce, on sent un grand écart de style. Comment définiriez-vous la ligne éditoriale de 404 Comics ?
N.B. : Libre, iconoclaste, hétérodoxe ? Je ne sais pas, je ne me suis pas véritablement posé la question. Je voulais juste ne pas fermer les choses et encore moins pour une première année, je souhaitais ouvrir les fenêtres en grands pour laisser la lumière entrer. Plus prosaïquement, ces deux premiers titres sont une profession de foi. C’est notre manière de dire, nous n’avons pas de barrière, nous ne voulons pas de case et ne pas nous enfermer.
Même s’il y a un grand écart dans les styles entre vos deux titres de lancement, on sent néanmoins un pont. Ce sont deux titres qui parlent fortement de notre époque. Est-ce un angle qui vous intéresse particulièrement chez 404 Comics ?
N.B. : Ce n’est pas tant la modernité qui m’intéresse que les questions ou le regard qu’on lui porte. Que nous soyons emportés par le zeitgeist est une évidence et il serait bien prétentieux d’y échapper. Pourtant, nous n’avons pas une volonté de « représentation » du réel.
Je m’explique : le monde contemporain est complexe et entremêlé, il est devenu quasiment impossible de répondre aux problèmes qui se posent à nous simplement, pourtant c’est ce que nous faisons le plus souvent. Ce qui provoque souvent un manque de mesure, de recul et aussi de dialogue. Il me semble que la meilleure réponse qui soit est celle de la question, la question comme réponse en quelque sorte.
Le monde contemporain est complexe et entremêlé
C’est avec une maturation intérieure que nous devenons meilleurs et que nous transformons une réaction en proposition. JensK avec Dunce nous parle de nos petites lubies, nos petites addictions et nous comportements erratiques face aux problèmes du quotidien. Il arrive cependant à être drôle et touchant, piquant et troublant. C’est la magie d’une bonne et belle écriture de comics trip.
Big Girls est plus acide et pop, on a toute cette sédimentation proto féministe mais qui fait le choix de ne pas stagner dessus, d’avancer.
Je crois que ce que les deux titres ont en commun (en plus d’être très bon) ce serait ce qu’ils nous disent tous les deux : « let it go, move on ». Ce qui est un merveilleux message.
Nous avons la volonté de résonner avec le monde qui est le nôtre mais peut être et surtout de changer le regard des lecteurs sur le monde, et ce même de manière infinitésimale.
Nous avons choisi comme marraine la figure de l’immense autrice Ursula K. le Guin et cette citation qui énonce bien la façon dont nous voyons nos ouvrages : « Nous lisons des livres pour découvrir qui nous sommes. Ce que les autres, réels ou imaginaires, font, pensent et ressentent… sont un guide essentiel pour comprendre ce que nous sommes et ce que pouvons devenir ».
Avec un marché du comics français déjà bien installé, n’est-ce pas un peu stressant de se lancer sur ce marché ?
N.B. : Bien entendu, monter une maison d’éditions, que ce soit dans le domaine qui nous intéresse avec 404 Comics ou de littérature c’est un pari un peu fou. Mais pourquoi pas aussi ?
Quand on est venu me présenter la possibilité de lancer cette gamme, j’ai d’abord refusé, je ne voyais pas ce que l’on pourrait apporter. Mais en fait si ! Il y a des choses à faire et surtout à dire.
Non pas que nous en tant que maison ayons un agenda caché ou une voie propre mais des auteurs ont des choses a nous dire, et il faut le porter dans notre petit hexagone. Nous allons faire de la création, et c’est là une différence suffisante et une voie suffisamment singulière pour qu’elle ait droit de citer, et puis un peu de folie aujourd’hui c’est sans doute salutaire. Non ?
De même, comment se lance-t-on sur ce marché ? Est-ce que vous pourriez nous expliquer comment ont été prises les décisions ? A propos des titres de lancement, par exemple ?
N.B. : D’abord c’est un peu rébarbatif, on fait des études marché, on regarde ce qui a marché, ce qui n’a pas marché et on tente de comprendre pourquoi, et puis on se lance, on définit un cahier des charges, les investissements nécessaires, etc.
Enfin, monter un catalogue est un mélange non quantifiable entre raison et déraison, entre tête et cœur. Le plus important, il me semble, c’est de trouver l’équilibre entre des choix qui semble réalistes et l’amour que l’on porte à un projet.
Dès le départ, je savais que je voulais un strip pour la maison car c’est un format que j’aime vraiment. Je l’ai trouvé dans Dunce que j’ai découvert dans son milieu naturel en Norvège. Je voulais aussi un comic book qui permette de faire comprendre au lectorat et aux amateurs de comics que nous serions présent dans ce domaine. J’ai acheté le premier single issue de Big Girls et je l’ai trouvé brillant, noir, vindicatif, beaucoup plus malin que je ne l’avais imaginé, j’ai contacté Jason (Howard, l’auteur, NDLR) deux jours plus tard grand maximum. Et nous voilà avec Dunce et Big Girls pour notre lancement.
De façon plus personnelle, comment en êtes-vous venu au comics en premier lieu ?
N.B. : Cela a toujours été là tout simplement. Mon grand-père lisait les vieux Flash Gordon et Mickey, en papeterie. Strange, Spidey et Nova faisaient partie de l’environnement naturel, autant que Mickey Parade, Pif et autres. Je n’ai pas souvenir d’un moment précis où j’aurai saisi qu’il s’agissait de comic book. Les histoires étaient prenantes, les personnages hauts en couleur et c’était amplement suffisant.
De plus, la BD a toujours été très importante dans ma famille. Mon père a été libraire papetier et collectionne des 48cc (une bande dessinée de 48 p., le format le plus courant, NDLR) depuis toujours. Mon oncle était éditeur de BD. Après, je conserve un amour déraisonnable pour ce qui m’a marqué enfant comme Rom The Space Knight, Dr Strange / Dr Doom : Triumph & Torment par Mignola ou God Create, Man Kills de Claremont.
Et du coup, quels sont vos auteurs / autrices préféré.e.s. et vos titres favoris ?
N.B. : Encore une fois ce n’est pas nécessairement du comic book américain, j’aime autant Reiser, Bretecher, Franquin que Kirby, Miller, Eisner, Chadwick, Veitch ou Burns. Il y a aussi un fait qui m’amuse beaucoup en ce moment, c’est qu’en vieillissant, on voit l’histoire s’écrire alors que l’on n’a pas vécu les choses de cette façon.
Par exemple, nous lisions Sin City en floppy sans imaginer que cela deviendrait un classique autant cité quelques années plus tard.
Donc plutôt que de parler du passé, j’aimerais plutôt évoquer des œuvres récentes comme The Seeds de Aja et Nocenti chez Berger Books, je sais qu’une édition française va voir le jour et c’est une œuvre fabuleuse.
Le travail que fait Lesniewski ou Michel Fiffe aussi, Copra et Panorama en tête. Jesse Lonergan, il faut lire Hedra, c’est totalement fou !
Par contre, je garde deux, trois titres dont certains verront le jour chez nous dès 2022 ! En tout cas, cette époque offre vraiment de belles choses ! Il y a une proposition foisonnante et des artistes fabuleux qui œuvrent dans l’ombre, parfois trop souvent.
À la traduction de Big Girls, on retrouve Arnaud Tomasini qui n’est pas un traducteur. Est-ce que vous portez l’envie de faire appel à des personnes passionnées et reconnues pour traduire vos titres ?
N.B. : Pas forcément, j’ai rencontré Arnaud alors qu’il cherchait à se diversifier, puis ComicsBlog a fermé et je lui ai proposé de se lancer. Il aimait déjà le titre et comme nous n’avons pas beaucoup de titres, nous pouvions être avec lui pour l’aiguiller sur certains points.
Ma « carrière » dans le monde de l’édition depuis 15 ans a été jalonnée de coups de pouce et de rencontres, ça me semble naturel de rendre la pareille. Mais les circonstances le permettaient aussi.
Nous avons une belle équipe de traducteur, des amis de longue date comme Philippe Touboul (sur Automnal) et Virgile Iscan (sur Jonna mais qui écrit aussi Big Under) et enfin Laurent Queyssi (Qui écrit Mundus et traduira un titre fabuleux pour 2022). Nous avons aussi travaillé avec Laurent Laget pour traduire La Fleur de la Sorcière depuis l’italien et Alex Fouillet, un célèbre traducteur de roman nordique, pour Dunce.
Les prochains titres de 404 Comics incarnent une grande diversité de styles, souvent portés par des personnages féminins forts. Socialement, on se situe dans une époque où les inégalités de genre semblent enfin être prises en compte. Éditorialement parlant, vous vous inscrivez dans ce mouvement ?
N.B. : C’est amusant car je me suis rendu compte de cela une fois le programme terminé. La constante c’est effectivement le féminin, qu’il brille par son absence dans Dunce par exemple puisqu’il s’agit d’une cellule monoparentale dans laquelle la mère n’est jamais évoquée que dans Big Girls, Jonna, Automnal, Big Under et même dans La fleur de la sorcière. Mais encore une fois si nous sommes à l’unissons avec ces problématiques c’est inconscient. Les choses sont là, les auteurs et les autrices ont envie d’embrasser ces problématiques et en tant que maison d’éditions nous ne sommes que le relais.
En tant que lecteur ou consommateur d’œuvre, je ne fais de prime abord pas attention à cette question de la représentation (peut-être à tort, je n’ai pas de réponse à ce jour) et je me saisis d’une œuvre quelle que soit la question du genre des personnages ou du cadre dans lequel il ou elle évolue, je souhaite juste que cela m’enrichisse et que le voyage soit digne d’intérêt.
Enfin, le monde de l’édition est très féminin, dans l’équipe 404 au sens large, je suis le seul éditeur masculin. J’ai une responsable de pôle et la grande directrice d’Editis est donc une femme. Peut-être cela participe-t-il aussi à trouver cette question du féminin naturel ?
Par contre et je le regrette, je n’ai que très peu de femmes dans les équipes créatives, et à ce jour je n’ai que Fabiana Mascolo aux couleurs de Big Under. J’aimerais pouvoir équilibrer les choses de ce côté-là de manière naturelle. J’y fais donc attention pour que nos équipes s’enrichissent d’autres regards.
Est-ce que vous pouvez nous parlez rapidement des prochains titres à sortir ?
N.B. : Donc, on a Big Girls et Dunce le premier avril. Kaiju monstrueux, entre action et réflexion et strip caustique norvégien.
En mai, nous proposerons La fleur de la sorcière d’Enrico Orlandi, une quête d’initiation fantasy que l’on pourrait qualifier de jeunesse mais qui pousse le cadre du genre et invite les adultes à questionner leurs comportements, c’est brillamment écrit dans la veine de Terremer graphiquement proche de Lumberjanes pour donner un référentiel.
En mai nous aurons la joie de publier Jonna de Chris et Laura Samnee. C’est l’aventure de deux sœurs dans un monde peuplé de monstres géants, le récit passe vraiment par la beauté du trait de Chris et sa dynamique, il y a quelque chose des premiers Dragon Ball, une explosion visuelle. C’est un premier volume sur trois à paraître.
Enfin, en octobre nous aurons notre première production maison Big Under, Catacombe le premier volume de 120 pages qui suit un looser club a la John Hughes dans un Paris qui tient autant de Tardi que de Mignola et retrouve ici son aura ésotérique et fantastique. C’est écrit par Virgile Iscan que l’on connaît comme journaliste, traducteur qui se lance ici dans un récit qui le hante depuis des années et dessiné par Alex Nieto (Locust/Beyond) et mis en couleur par Fabiana Mascolo (Yasmeen, Seven Secrets).
L’année 2022 commencera dès janvier avec un titre troublant au twist final ahurissant !
Et nous terminerons à l’automne avec Automnal (The Autumnal) un titre de chez Vault Comics (These Savage Shores, The Plot). 190 pages de folk horror graphique qui tient autant de The Wickerman, Midsommar de Ari Aster que des livres de Richard Matheson. Une horreur qui s’installe dans la longueur et le second plan dans lequel on suit le retour dans sa ville natale d’une mère et de sa fille durant le plus bel automne possible. C’est écrit par Daniel Kraus, dessiné avec un trait gras et puissant par Chris Shehan et mis en couleur par le génie Jason Wordie. Ce sera un format oversized car nous voulons que les lecteurs puissent en profiter dans les meilleures conditions possibles.
Voilà pour la première année, 6 titres seulement pour pouvoir les défendre avec force, et l’année 2022 commencera dès janvier avec un titre troublant au twist final ahurissant ! Mais nous en reparlerons !
Merci Nicolas Beaujouan et 404 Comics ! Nous vous souhaitons un bon lancement !
Merci à vous, et longue vie à LesComics.fr !
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