Run en Interview pour Puta Madre, Mutafukaz et Label 619
Cette année sur Les Comics.fr on a eu l’occasion de vous en parler à maintes reprises mais Puta Madre, c’est LE coup de cœur de Ben et Matt pour cette année 2017. C’est donc assez logiquement que Ben a essayé de rentrer en contact avec RUN, le porteur de ce projet avec l’illustrateur Neyef. Usant de sa disponibilité, on a eu donc la chance de pouvoir lui poser quelques questions.
Run est un véritable globe trotteur, notamment avec la sortie du film Mutafukaz, et on a eu du mal à le suivre. Du coup, on a échangé par e-mail. Mais assez parlé : laissons place au principal, l’interview.
LesComics.fr : En cette fin d’année sort l’intégrale Puta Madre, gros coups de cœur 2017 pour moi. Pouvez-vous nous en dire deux mots ?
RUN : En tant qu’éditeur, Puta Madre c’était pour moi un pari éditorial : tester en France le serial à l’américaine en fascicules de 32 pages. En tant qu’auteur, c’était une énorme envie de continuer à creuser l’univers de Mutafukaz avec un angle différent. Et proposer un spin-off qui pouvait être lu indépendamment de la série-mère, tout en contentant les fans de la première heure. C’était un challenge intéressant que je pense avoir relevé.
LesComics.fr : Puta Madre, c’est 6 épisodes où on suit l’évolution de Jésus depuis son enfance. 6 épisodes aux ambiances assez variées. Si vous deviez associer un morceau de musique à chaque épisode, quel serait votre choix ?
RUN : Pour le tome un, c’est pas évident. C’est celui qui est le moins marqué en terme d’ambiance propre. Alors je dirais la musique qui accompagne le documentaire “Perpétuité pour les enfants d’Amérique” de Cyril Denvers et Anthony Headley, tout simplement parce que c’est précisément ce doc qui m’a inspiré le point de départ de l’histoire de Puta Madre.
Pour le chapitre 2, un truc bien Raza Mexicana, bien Brown Pride, bien Chicano. Je dirais “Como Pancho Villa” de Dyablo, pour rester bien dans le thème 😊
Dans l’épisode 3, un mood plus hispanic country ; genre Coyote Country Music dans toute la partie qui concerne le vieux Pete. Puis, on basculerait sur du Métal hispanique au passage dans le club de bikers, en milieu de chapitre.
Pour l’épisode 4, un pur morceau d’un groupe de métal mexicain. “Mi verdadera familia” de Thell Barrio collerait bien aux Hermanos de la Santa Muerte.
Pendant l’épisode 5, on entendrait un truc de lover en fond sonore. “Chantaje” de Shakira. Je suis amoureux de Shakira.
Pour le dernier chapitre, “Waiting for My moment” de l’OST de Creed, ça pourrait marcher. Si c’était un film, je verrais bien avec cette musique précise des coupures alternant combats de catch et la vie de Lizzie qui suit son cours au moment du chant féminin. Le gimmick final “This is my story” clôturerait parfaitement la série !
LesComics.Fr : Puta Madre est spin-off de Mutafukaz, une BD achevée en 2015. Replonger dans cet univers, c’est pour combler un manque ou c’était déjà dans un coin de votre tête ?
Run : Puta Madre s’est imposé à moi. J’avais à peine posé les staedler à la fin de Mutafukaz 5 que les premières images de Puta Madre m’ont agressées. Comme d’habitude, j’ai laissé le truc mûrir. Des idées de projet, des images flash, j’en ai à chaque fois que je sors de la douche. Mais si l’idée persiste plus de trois jours, c’est qu’il y a quelque chose en plus. Pour Puta Madre ça a été le cas. Le truc ne m’a pas lâché. Je revenais des États-Unis où j’avais pris 3 semaines de vacances pour récupérer d’une période de rush (les bouclages en parallèle de DoggyBags 8 et de Mutafukaz 5 et la fin de production du film côté Japon). Le bouquin était à peine sorti des presses que j’écrivais déjà les premiers chapitres. J’étais complètement en décalage horaire (les nuits sont difficiles dans les voyages de l’ouest vers l’est), et j’écrivais la nuit sans m’arrêter. En une semaine, la première version du scénario de Puta Madre était bouclée, tout est arrivé très naturellement, instinctivement.
LesComics.fr : Sur ce titre vous avez bossé avec Neyef. Vous pouvez nous expliquer comment c’est fait votre rencontre et nous expliquer votre collaboration ?
Je connais Neyef depuis plusieurs années, je l’avais repéré sur Dofus Monster, et j’ai signé son projet suivant : Ce goût. Je ressentais l’énorme potentiel de ce jeune dessinateur. Je lui ai proposé de bosser sur DoggyBags, et il est revenu avec South Central Stories. C’est un auteur qui a énormément progressé en très peu de temps. Il est bien meilleur dessinateur que moi. Donc, c’était une évidence pour moi de le faire bosser sur le projet, d’autant plus que je lui ai transmis le virus de la documentation avant d’attaquer un projet. Je savais que c’était le gars qu’il me fallait pour ce projet précis. Seulement au moment où mon script était fini, il venait de s’engager sur Bayou Bastardise. Il a été hypé par Puta Madre, mais il avait commencé à bosser sur Bayou. J’ai donc patienté un an, et en attendant j’ai accumulé pas mal de références photographiques pour préparer le travail. Pas mal de lieux dans Puta Madre existent vraiment dans la vie réelle, et quand Neyef a bouclé Bayou tome 1, on s’est mis au travail sur Puta Madre. Que les fans de Bayou se rassurent, Neyef s’est depuis remis sur le tome 2 de Bayou Bastardise.
LesComics.fr : Ce que nous avons beaucoup apprécié dans Puta Madre c’est le côté documenté des épisodes avec des thèmes différents. Pourquoi avoir mis l’accent sur ce point ? Une volonté de nous cultiver ?
Si les gens peuvent apprendre des choses de manière ludique, tant mieux. Je suis moi-même très curieux d’apprendre de nouvelles choses. Mais je n’ai pas la prétention de cultiver mes lecteurs. Ces articles annexes permettent avant tout d’ancrer le récit dans la réalité du monde tel qu’il est. De prime abord, avec notre esprit français, on pourrait intuitivement penser qu’une alliance entre des suprémacistes blancs et des mexicains n’a aucun sens dans un scénario. C’est pourtant une réalité dans les prisons américaines, et c’est ce que j’explique entre autres choses. Ça rend d’autant plus intéressant le jeu de pouvoir qui est décrit dans l’histoire pour ce passage précis. La réalité est en tous points supérieur à la fiction, en termes fictionnels justement 😊
LesComics.fr : Les pages documentations, c’est quelque chose qu’on retrouve dans les titres du label 619 que tu pilotes. Vous avez une passion pour les travers du continent américain ?
J’aime beaucoup les États-Unis, son peuple, son histoire, ses paradoxes. C’est un pays qui a élu deux fois Barack Obama puis Donald Trump dans la foulée. Et tout ce qui se passe avec la Corée du Nord, avec Trump qui règle ses comptes sur Twitter comme un troll de jeuxvideo.com, alors qu’on parle d’une possibilité de guerre nucléaire… Même Franck Miller n’a pas osé aller aussi loin dans ses scenarii… Tout ça est fascinant.
En termes de décors, je suis amoureux du sud-ouest des États-Unis. C’est naturellement que je place mes histoires là-bas. C’est un pays qu’on pense comprendre, bien cerner, mais plus j’y vais et plus je me rends compte à quel point il est complexe, et pas forcément aussi accessible qu’on se l’imagine nous, français. C’est ce que j’essaie de montrer. Révéler les contradictions n’est en aucun cas un discours à charge. C’est un simple constat qui m’inspire des histoires. J’en aurais autant à dire sur la France, mais c’est trop proche. Après les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, j’étais complètement vidé, et affecté au plus haut point. Les USA, ça reste exotique, c’est proche tout en étant loin. C’est pour moi un terrain idéal pour de la fiction. Et finalement, même si je plante le décor aux États-Unis, mes histoires, dans le fond, restent universelles. Il y est souvent question de condition humaine et de déterminisme. Un jour je ferai quelque chose qui se passe en France. J’ai déjà écrit des pages. Mais je ne me sens pas encore prêt.
LesComics.fr : La question que tout le monde se pose à la rédac : d’autres spin-off sont-ils prévus? (Dites oui ! Dites oui ! Dites oui !)
J’ai des projets tous azimut. Mais il faut que je fasse le tri. Il faut que j’arrive à distinguer ce qui est intéressant pour la série (ou pour la BD en général), de mes envies sur le moment. Donc rien de clairement prévu, mais beaucoup d’envies. Beaucoup, beaucoup, même !
LesComics.fr : Un gros travail sur les tatouages a été fait dans la série. C’est une seconde passion ? Vous pratiquez ?
J’aurais voulu m’essayer au tattoo, j’ai même demandé à une connaissance qui pratiquait si elle ne voulait pas me prendre en apprentissage. Elle m’a répondu que j’étais trop vieux, ça m’a calmé 😊 Pour le moment, ça m’est passé. Mais j’aime bien. J’ai réalisé tous les tattoos dans la BD. C’était avant tout pour faire gagner du temps à Neyef, mais aussi parce que je tenais absolument à ce que tout soit absolument crédible et authentique. Ça demande une bonne connaissance du sujet, les gangs de prison et les gangs de rues. Et je commence à avoir une solide base de références à ce sujet.
LesComics.fr : Question sur le choix de la sortie par épisode au lieu d’un seul volume ? Une réussite ? À renouveler ? L’idée est de se rapprocher du modèle US ?
Encore une fois, il s’agissait d’un pari, et d’un test pour savoir si les gens étaient prêts à nous suivre sur ce format. Ça a été très concluant en terme éditorial, les gens ont suivi, ont aimé l’expérience de lecture et les libraires ont apprécié. Par contre, en terme financier c’est moins évident, mais on le savait dès le début : comme la fabrication était de qualité et que le prix de vente des fascicules était assez bas, nous n’avons pas gagné d’argent sur la vente des fascicules, d’autant plus qu’ils étaient en tirage limité, donc pas de possibilité de les réimprimer. On compte sur les ventes de l’intégrale pour savoir si l’opération est ou non une réussite à tous les niveaux. De là va dépendre la suite des événements, à savoir : est ce qu’on retente l’expérience d’une sortie en serial de 32 pages sur un prochain projet ou pas. L’idée n’est de toute façon pas de systématiser ce format. Les projets doivent au préalable être pensés pour que ce soit cohérent.
LesComics.fr : Quel est la case de Puta Madre dont tu es le plus fier ?
Je ne sais pas du tout… Sérieusement j’aime toutes les cases de Neyef. Mais de là à parler de fierté ?
Non, à la limite, je suis fier d’avoir fait ce qu’on a fait, à savoir cette mini-série dans ce format, et dans ce temps imparti.
LesComics.fr : Tous ceux qui vous suivent le savent, le film Mutafukaz a été une grande aventure. Il est encore un peu tôt pour prendre vraiment du recul car vous œuvrez encore pour le faire diffuser un max, mais si vous jetez un rapide coup d’œil en arrière, pouvez-vous nous résumer votre aventure, nous parler du film ?
Ça serait très très long à résumer, puisque la pré-prod’ du film, la prod’ et la post-prod’ s’étalent sur 8 ans. J’ai même pensé à en faire une BD tant il y a de choses à raconter… Je serai ravi de partager certaines anecdotes avec LesComics.fr une fois le film sorti, si vous avez des questions précises concernant le film, et sa prod’.
Tout ce que je peux dire, c’est que c’est une expérience qui m’a beaucoup enrichi, et qui m’a fait mûrir à bien des égards.
LesComics.fr : Beaucoup d’entre nous sont éloignés de salles de ciné où Mutafukaz a été projeté. As-tu des news sur une sortie ciné ou sur un autre support DVD ou encore une offre de téléchargement (légal) ?
Pour le moment, nous sommes en discussions avec un distributeur français et il est question du choix dans la date, sans aucune contre-pétrie. En ce moment, on boucle la tournée des festivals, qui est un passage obligatoire pour faire connaître le film avant une distribution en salle. Une sortie cinéma dans les règles en France est prévue, accompagnée de projections-événements, et bien évidemment une sortie VOD, Blu-ray et DVD. Mais tout ça prend du temps à mettre en place et ça me dépasse un peu. C’est lié au fait que le film a été produit hors du circuit traditionnel français, CNC, etc. Mais je sais que les choses avancent. Le premier pays qui sortira le film en salle sera l’Allemagne (en Février), puis le Japon. J’espère que la France suivra pas loin derrière. Après l’accueil à Chicago et à Los Angeles, plusieurs distributeurs américains sont intéressés par le film, ce qui est une excellente nouvelle.
LesComics.fr : Votre premier comics ? Celui qui a déclenché toute cette folie ?
Ma première BD, c’est les Schtroumphs Olympiques, puis les Schtroumphs noirs (qui sont en partie responsable du look d’Angelino puisque j’ai une fascination pour les Schtroumphs noirs depuis que j’ai 5 ans ! Mon premier vrai comicbook, à part les Strange que je lisais quand j’étais gosse, c’est Liberty et Watchmen. Avant, il y a eu le manga Akira en fascicules. C’est la somme de ces trois-là qui ont mis le feu aux poudres, mais bien avant que je sois en place dans le paysage éditorial français !
LesComics.fr : Comme ça sans trop réfléchir votre top 3 des BDs que vous voudriez faire découvrir aux lecteurs ? (pas forcément du label)
Les praticiens de l’infernal de Pierre Lapolice, chef d’œuvre absolu de l’absurde et de l’humour WTF. Ce mec est un génie ! Cet univers adapté au cinéma par les frères Poiraud, ça serait fou (avis aux producteurs français, ça serait tellement plus marrant que les comédies françaises navrantes qui inondent les salles de ciné)
Moi, j’adorerai un jour pouvoir adapter le Roi des Mouches de Mezzo et Pirus au ciné, mais ça c’est dans mes rêves… Et j’ai des bails à régler avant 😊
Pour la troisième BD, je vais parler d’un titre édité au Label 619 que j’aime d’un amour pur, et que j’aimerais faire découvrir à ceux qui seraient passés à côté . Il s’agit de Cigish ou le maître du Je, de Florence Dupré Latour. Une quête existentielle qui part d’une addiction au jeu de rôle et qui tourne à la mise en abîme jubilatoire, jusqu’au délire schizophrène. Florence et Cigish (son avatar maléfique) nous dépeignent la vie d’artiste, son processus de création, tout en épinglant l’impitoyable monde de la critique et de la Bande-dessinée (avec des anecdotes de rencontres avec de réels éditeurs) Bref, c’est une expérience unique dans le paysage de la BD franco-belge, et c’est à découvrir absolument ! Tout simplement parce que c’est brillant, drôle et intelligent ! Et vue la qualité de la fabrication, ça ferait un excellent cadeau de Noël.
LesComics.fr : Des projets perso à venir ? Et pour le Label 619 dont vous êtes le chef d’orchestre ?
Nous sommes en train de réfléchir à adapter DoggyBags en recueil de nouvelles littéraires, en plus des DoggyBags One Shot et DoggyBags présente qui sont actuellement en cours de production. On a pas mal de projets dans les cartons. La post-prod du film Mutafukaz m’a pas mal ralenti, mais je suis de retour aux affaires, et on va passer la seconde dès à présent !
LesComics.fr : Avez-vous un scoop pour nous ?
Je l’ai déjà dit plus haut : je suis amoureux de Shakira. Et aussi d’Alizée.
Merci LesComics.fr pour cette interview !
Merci à Run pour le temps qu’il nous a consacré, pour ses réponses instructives et pour nous avoir offert tous ses contenus de qualité.
Pour finir cette interview et pour lui faire plaisir on va finir sur un petit Alizée ! On a déjà Shakira plus haut…
https://www.youtube.com/watch?v=-aqio-d6wjY
Retrouvez les chroniques des épisodes de Puta Madre : épisode 1, épisode 2, épisode 3, épisode 4, épisode 5, épisode 6.
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