Terry Moore – L’interview
A
l’occasion de sa venue en France pour le Festival International de la Bande-Dessinée, à Angoulême, Delcourt avait convié la presse à discuter avec Terry Moore dans leurs locaux parisiens.
En grand fan de l’auteur, Dram00n a bien entendu répondu positivement à la proposition et voici son compte-rendu.
LesComics.fr : Bonjour Terry Moore ! En France, vous êtes souvent présenté comme l’un des pionnier du comics indépendant, vous avez monté votre maison d’édition “Abstract Studio”, pourquoi ce choix de s’auto-éditer ?
Terry Moore : Le choix s’est imposé parce que je voulais réussir à vivre de ma carrière. Quand j’ai commencé dans l’industrie, un autre éditeur s’est occupé de mes comics et j’ai reçu 17% des ventes. Je ne pouvais pas vivre avec ça, donc, puisque l’on était dans une période où l’auto-édition et les indépendants prenaient de l’importance grâce à des individus comme Jeff Smith ou Dave Sim. Ils m’ont expliqué comment ils faisaient, j’ai essayé et j’ai reçu 100% des ventes. Donc, grâce à ça, j’arrive à vivre.
A travers Abstract Studio, vous avez seulement édité vos œuvres si je ne me trompe pas, avez-vous déjà pensé à travailler pour d’autres éditeurs ?
Non, pas vraiment. Quand j’étais musicien, je travaillais beaucoup dans des groupes de reprises (cover bands) et c’est le genre de groupe qui n’a pas d’avenir. Donc, en arrivant dans le comics, je me suis dit que si je travaillais avec d’autres personnages pour d’autres éditeurs, je n’aurai pas d’avenir.
Je voulais faire mes propres histoires plutôt que d’écrire ou dessiner Batman ou Spider-Man.
Quand on regarde toutes vos créations, on peut constater que le personnage central est toujours féminin et souvent une femme avec une grande force de caractère. Est-ce pour une raison particulière ou parce que vous avez plus de facilité à écrire les personnages féminins ?
Ce n’est pas plus facile, bien au contraire. En fait, j’ai plus d’intérêt quant à savoir ce qu’une femme doit faire pour survivre une journée de plus sur une planète pleine de prédateurs.
Je sais comment un homme fait donc ça ne m’intéresse pas vraiment. En tant qu’artiste, je préfère dessiner une femme qu’un homme, j’adore les femmes. Si je dois passer toutes les journées de ma vie à écrire et dessiner des personnages, je préfère le faire avec Katchoo (l’une des héroïnes de Strangers in Paradise, NDLR) qu’avec un mec lambda.
On peut également constater que vous avez traité beaucoup de thèmes différents, horreur, science-fiction, etc. Est-ce l’envie de toucher à d’autres sujets ? Ou peut-être de surprendre le lectorat ? Ou par peur de vous lasser ?
Quand j’ai fini Strangers in Paradise (SiP), j’avais tenté d’y injecter de nombreuses choses mais ça restait une histoire d’amour.
A Hollywood, il y a un problème. Si vous réalisez un film de trains, les producteurs penseront que vous ne pouvez faire que ça. C’est un exemple stupide mais je ne voulais pas que le lectorat comics se disent : « Hey, c’est le mec de SiP, il ne sait faire que ça ».
Du coup, je voulais quelque chose de différent alors j’ai travaillé sur de la SF (Echo), de l’horreur parce que c’est un genre que j’adore et ensuite du fantastique avec un gorille. En fait, j’ai la liberté de pouvoir faire tous ces genres différents et j’espérais que si quelqu’un n’avait pas aimé SiP, il aimerait Echo ou Rachel Rising. J’espérais que la variété soit une bonne chose et en tant qu’artiste, on ne veut pas toujours faire la même chose.
C’est une possibilité de surprendre le lecteur mais c’est aussi un challenge pour vous.
Pensez à moi comme un acteur, je joue beaucoup de rôles mais dans le fond, c’est toujours moi derrière. Donc, en faisant un nouveau livre, il y a un nouveau point de départ, un nouveau genre mais c’est fait avec mon style, mon point de vue.
C’est aussi très fun, parfois, on se met des barrières en se disant que l’on a écrit un livre réaliste que l’on ne peut pas faire du fantastique alors que si on le fait, on se rend compte que c’est amusant de changer de genre.
Vous avez reçu plusieurs récompenses, avez-vous reçu plus d’attention et de pression de la part des médias et des critiques ? Et si oui, est-ce que cela a changé votre façon de travailler ?
Non. Recevoir des récompenses, c’est très sympa et je pense que ça a une importance pour la biographie (rires). Mais ça n’a pas d’influence sur les ventes, le grand public s’en fiche. Je ne suis pas certain que les libraires commandent en fonction des récompenses. C’est peut-être différent en France.
Le mieux pour aider les ventes, c’est le bouche à oreille, quand le lectorat en discute et que vous, la presse, parlez de mes œuvres. C’est même plus important pour moi de discuter avec un journaliste que d’aller à une cérémonie. Vous êtes plus important qu’une récompense ! (rires)
J’aimerai revenir sur l’œuvre qui m’a le plus marqué : Motor Girl. Dans cette oeuvre vous traitez du trouble de stress post-traumatique mais cela avec humour et légèreté. Comment vous est venu l’idée d’aborder ce sujet si délicat aujourd’hui et pourquoi de cette manière ?
J’avais cette idée depuis longtemps et il était temps de le faire au moment où j’ai commencé à l’écrire. Mais je savais que je ne voulais pas refaire une histoire d’amour. En ce moment aux Etats-Unis, il n’y a pas d’amour, pas de romance, ce n’est pas la peine d’essayer d’en parler. Nous vivons une époque vraiment dangereuse.
Du coup, j’ai voulu faire autre chose pour cette histoire sur une soldate qui souffre de syndrome post-traumatique et comment elle gère ça. C’est une histoire sur l’amour de son prochain, de l’humanité, elle ressent beaucoup de compassion pour tous les enfants qu’elle n’a pas pu sauver. Mais elle ressent aussi beaucoup de culpabilité qui se manifeste sous la forme de ce gorille. Au fond, elle se pose la question de savoir qui elle doit sauver, elle ou bien le gorille ? Mais c’est avant tout une Marine et elle veut accomplir sa mission : elle doit sauver quelqu’un. C’est donc un immense problème pour elle.
Mais il y a aussi un aspect très Magicien d’Oz à la fin avec la ferme. C’était vraiment intéressant à écrire.
En lisant tous vos travaux, j’ai l’impression de vivre un roller-coaster émotionnel. Je peux être joyeux sur une page et me retrouver à pleurer sur la suivante. Est-ce que ça vous arrive aussi en tant qu’auteur ?
Oui, je suis même le premier à le ressentir (rires) ! Mais mon roller-coaster dure encore plus longtemps parce que je peux passer une journée à m’occuper d’une page. En tant que lecteur, vous passez d’un sentiment à l’autre de façon rapide. C’est vraiment fou comme vie : un jour, j’écoute une chanson joyeuse pour me mettre dans l’ambiance d’une scène joyeuse et le jour suivant, j’écoute du death metal pour dessiner une scène violente.
Vous êtes revenu sur Strangers in Paradise, 25 ans plus tard. Pourquoi ?
En 2018, c’était l’anniversaire des vingt-cinq ans de Strangers in Paradise et j’avais une excellente idée pour faire revenir les personnages, liée aux Parker Girls. Si l’une d’entre elles devait révéler tout ce qu’elle sait, ça pourrait devenir un problème pour les personnages.
C’est quelque chose à peu près similaire à ce qui s’est produit en Angleterre, en 1964. Un membre du Parlement avait découvert qu’une femme avec qui il avait une liaison était en fait un agent russe. C’est à peu près la même idée qui m’a motivé pour réécrire sur SiP et qui pose un immense problème à tous les personnages.
Mais Strangers in Paradise XXV permet aussi de connecter tout le monde, tous les précédents récits parce que Motor Girl est aussi dedans.
Et vous avez déjà une idée quant à votre nouveau projet ?
C’est un récit de fantasy qui s’appellera Everlasting et il faudra encore attendre un peu pour en savoir plus. Seulement, il ne sera pas dans le même univers que mes travaux précédents.
Depuis maintenant 2 ans, Delcourt a réédité une grande parties de vos œuvres, êtes-vous étonné d’être mis autant en avant soudainement ?
C’est quelque chose auquel je ne m’attendais pas. Aux Etats-Unis, les titres sortent et c’est comme ça. En Europe, les éditeurs peuvent choisir les titres qu’ils éditeront, ils ont une grande sélection face à eux et ils doivent faire des choix. Editer des comics indépendants est difficile car il ne trouve pas toujours leur public et cela peu importe la qualité du comics. Être mis en avant par Delcourt est gratifiant pour mon travail et je remercie Delcourt de croire dans mes histoires.
On constate en France que les comics indépendants ont des difficultés à trouver des lecteurs. Beaucoup de fans de Batman et Spider-Man continueront de lire ces héros et cela même s’ils ne sont pas satisfaits des histoires actuelles. Est-ce pareil aux Etats-Unis ?
Comme pour vous, les lecteurs continueront de se tourner vers leurs héros préférés en toutes circonstances. Il suffit de regarder le top 100 des ventes pour constater que l’on retrouve toujours les mêmes titres dans les 50 premières places. Histoire excellente ou non, vous ne verrez pas Batman, Spider-Man, Avengers sortir de ces places. Pourtant, on entend beaucoup de lecteurs se plaindre par moment, mais il est toujours difficile de les amener vers les comics indépendants.
Pourtant, depuis quelques années, on voit des grands noms des Big-Two se diriger vers les éditeurs indépendants. Je pense notamment à Rick Remender et Jonathan Hickman qui ont beaucoup de projets chez Image Comics. Cela ne donne pas à voir une évolution ?
Très peu. Il y a tellement d’artistes que lorsqu’un grand nom quitte DC et Marvel, ils trouveront un remplaçant en claquant des doigts. C’est également le rêve de beaucoup de jeunes auteurs et artistes de travailler sur les super-héros qu’ils aiment et on voit des grands noms faire le chemin inverse, celui de l’indépendant vers DC et Marvel.
Merci beaucoup pour vos réponses.
Merci beaucoup à vous aussi, c’était un vrai plaisir !
Merci encore à Delcourt pour avoir eu l’opportunité de faire cette interview.
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